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principes perturbateurs, une succession continue d’accidens communs aux autres êtres, ou propres à sa nature, qui compliquent singulièrement le problème de sa durée normale. Heureusement, pour éclairer cette question, la lumière nous vient de trois côtés à la fois, et les données de la physiologie, de l’histoire, de la statistique, peuvent être successivement contrôlées les unes par les autres. L’étude des limites de la vie humaine a fait depuis le commencement de ce siècle des progrès notables, et de nos jours même elle se continue encore par d’importans travaux. Il y a donc lieu d’espérer que des résultats vraiment scientifiques viendront couronner des recherches entreprises dans des directions si diverses, et la conclusion même que nous chercherons à en tirer prouvera que, sur ce point comme sur tant d’autres, il s’agit moins d’aspirer à de nouvelles découvertes que de classer et de résumer les notions déjà obtenues.

La science dont nous aurons à constater les progrès en ce qui touche la vie de l’homme ne possède encore, que des données assez incomplètes sur l’étendue de la vie des divers animaux. L’âge d’un arbre est inscrit sur la tranche de sa tige, et il suffit de compter les couches ligneuses dont elle est formée pour avoir le nombre des années qu’il a déjà vécues[1] ; mais nous manquons de caractères analogues pour reconnaître l’âge des animaux : le peu que nous savons touchant la durée de leur vie, il a fallu l’apprendre par des observations directes, toujours lentes et difficiles, qu’il serait nécessaire de multiplier beaucoup pour obtenir des résultats positifs.

Les espèces appartenant aux dernières classes du règne animal paraissent avoir en général une durée fort courte ; la plupart d’entre elles vivent au plus quelques années. Parmi les poissons, il en est un certain nombre qui, naissant très petits et croissant avec lenteur, sont destinés cependant à acquérir une grande taille. Dans les viviers des césars, des murènes ont été nourries jusqu’à l’âge de soixante ans. En calculant d’après le poids que les carpes atteignent en dix années, on en a péché plusieurs qui devaient avoir près d’un siècle. En 1497, il fut pris, dit-on, dans un des étangs du château de Lautern un brochet pesant trois cent cinquante livres, qui, d’après une inscription gravée sur un anneau suspendu à l’un de ses opercules, y avait été mis deux cent soixante-sept ans auparavant par ordre de l’empereur Frédéric II. Forster parle de tortues qui auraient vécu plus d’un siècle après leur capture, et les crocodiles passent aussi pour avoir la vie très longue. Quelques oiseaux, l’aigle, le cygne, le corbeau, les perroquets, sont regardés comme pouvant jouir d’une existence séculaire. L’auteur de la Macrobiotique, Hufeland, parle d’un faucon, envoyé du cap de Bonne-Espérance à Londres, qui portait ces mots gravés sur un collier d’or : « À S. M. Jacques, roi d’Angleterre, 1610, » et il s’était écoulé cent quatre-vingt-deux ans depuis sa captivité.

Tous ces faits ne présentent pas un caractère suffisant d’authenticité. Nous avons un peu plus d’expérience relativement à la durée des mammifères, et

  1. On sait que Michel Adanson a étudié sous ce rapport certains végétaux du Sénégal, les baobabs, et s’est assuré qu’il en est parmi eux dont l’origine remonte au commencement des temps historiques, et qui sont âgés de cinq et six mille ans.