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tout récemment un éléphant femelle est mort à l’âge de quarante ans environ, à la ménagerie du Jardin des Plantes. Ses épiphyses n’étaient pas encore soudées On devrait en conclure que la vie naturelle de ce géant de la création est au moins de deux cents ans, et telle est justement l’opinion d’Aristote, de Buffon et de Cuvier. « Une seule observation exacte sur l’époque où se fait la réunion des os et des épiphyses dans l’éléphant, dans le rhinocéros, dans l’hippopotame, etc., nous donnerait tout de suite et nous donnerait à coup sûr, dit M. Flourens, la durée de vie de toutes ces grandes espèces. »

Pour que cette assertion fût absolument vraie, une condition serait nécessaire : c’est que le rapport de l’accroissement à la vie totale, que nous voyons exprimé par le chiffre 5 pour le chameau, le bœuf, le cheval, le lion, le chien et le chat, restât invariablement le même pour les autres animaux. Le nombre des faits bien constatés ne permet pas encore de décider si ce rapport est ou n’est pas très général ; mais d’après quelques exemples connus, et grâce surtout aux analogies que nous fournit l’étude des tendances de la nature, nous penchons à croire que la relation entre la durée de l’accroissement et la durée de la vie varie dans les divers groupes naturels.

L’immense majorité des êtres animés n’est pas assujettie à la règle si nettement formulée par M. Flourens ; cette règle, M. Flourens l’a d’ailleurs restreinte à la classe des mammifères, qui comprend, comme l’on sait, les espèces les mieux organisées, telles que le tigre, l’éléphant, le mouton, le rat, la chauve-souris, le, singe, et dont l’homme lui-même fait partie. Chez ces divers animaux et ceux qui leur ressemblent, la vie se continue longtemps après que l’accroissement est terminé ; mais il n’en est pas de même pour tous ceux dont l’organisation est moins parfaite. Chez les insectes par exemple, l’espace de temps compris entre l’éclosion de l’œuf et la dernière métamorphose est infiniment supérieure au reste de la vie, et cet espace correspond à certains égards à la durée de l’accroissement chez les mammifères[1]. Une fois parvenus à l’état parfait, les insectes ne vivent souvent que quelques jours ou même quelques heures après avoir passé plusieurs années à se développer. Chez la plupart des animaux sans vertèbres, la vie se prolonge très peu après que la croissance est terminée, et ce caractère se retrouve aussi chez les vertébrés inférieurs ; on sait que beaucoup de poissons grandissent et grossissent toujours, si ce n’est peut-être dans l’extrême vieillesse.

Nous voyons ainsi que plus une classe d’animaux est élevée en organisation, plus la durée totale des espèces qui la composent s’allonge relativement à la durée de leur croissance. M. Milne Edwards a montré dans son enseignement au Muséum et à la Faculté des sciences que c’est là une tendance de la nature qui peut souffrir quelques exceptions, mais qui pourtant domine l’ensemble du règne animal. Eh bien ! cette tendance parait ne pas se

  1. Chez les insectes, la période larvique est incontestablement une période d’accroissement ; mais en même temps on peut la considérer comme une période de développement embryonnaire en dehors des enveloppes du parent. Sous ce dernier rapport, elle se rattache à la question des métamorphoses que l’un de nos savans collaborateurs, M. de Quatrefages, a traitée dans la Revue des Deux Mondes (1er et 15 avril 1855), et dont, nous n’avons pas à nous occuper ici.