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REVUE DES DEUX MONDES.

IV.

LA CONFESSION.


Une fois, — une seule, — aimable et bonne femme,
À mon bras votre bras poli
S’appuya ; — sur le fond ténébreux de mon âme
Ce souvenir n’est point pâli.

Il était tard ; — ainsi qu’une médaille neuve,
La pleine lune s’étalait,
Et la solennité de la nuit, comme un fleuve,
Sur Paris dormant ruisselait ;

Et le long des maisons, sous les portes cochères,
Des chats passaient furtivement,
L’oreille au guet, — ou bien, comme des ombres chères,
Nous accompagnaient lentement.

Tout à coup, au milieu de l’intimité libre
Éclose à la pâle clarté,
De vous, — riche et sonore instrument où ne vibre
Que la radieuse gaîté,

De vous, claire et joyeuse ainsi qu’une fanfare
Dans le matin étincelant,
— Une note plaintive, une note bizarre
S’échappa, — tout en chancelant

Comme une enfant chétive, horrible, sombre, immonde,
Dont sa famille rougirait,
Et qu’elle aurait longtemps, pour la cacher au monde,
Dans un caveau mise au secret.

Pauvre ange, elle chantait, votre note criarde,
« Que rien ici-bas n’est certain,
Et que toujours, avec quelque soin qu’il se farde,
Se trahit l’égoïsme humain ;

« Que c’est un dur métier que d’être belle femme,
— Qu’il ressemble au travail banal
De la danseuse folle et froide qui se pâme
Dans un sourire machinal ;

« Que bâtir sur les cœurs est une chose sotte,
— Que tout craque, amour et beauté,