Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 10.djvu/11

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à l’improviste une salve meurtrière de ces arquebusiers de l'estrier, et l'ébranlement qu'elle en reçut donna le succès aux protestans. Henri IV poussa même trop loin sa passion pour les armes à feu; il en multiplia le nombre et en exagéra l'emploi dans la cavalerie, à tel point que le rôle de cette arme en fut dénaturé; pendant longtemps, la cavalerie oublia que sa force résidait dans les pointes de ses sabres, dans l'élan des hommes et dans la vitesse des chevaux.

La plupart des grands capitaines marquaient ainsi leur passage par un progrès dans l'armement de leur infanterie. Un des plus redoutables ennemis de la puissance espagnole, Maurice de Nassau, ingénieur et tacticien habile, disposa le premier l'infanterie de manière à combiner l'emploi simultané du mousquet et de la pique; avant lui, l'arme à feu ne servait qu'aux tirailleurs; il commença à l'employer en ligne. Cette réforme cependant ne fut qu'ébauchée par le général hollandais; il était réservé à Gustave-Adolphe de l'accomplir. Tandis qu'il exécutait une série d'opérations militaires telles que le monde n'en avait pas vu depuis César, il créait une artillerie mobile, et donnait au feu de son infanterie une efficacité qu'on n'avait pas obtenue avant lui. Aux lourdes machines de guerre que des bœufs amenaient sur le champ de bataille, et qui y restaient immobiles, paralysées par le moindre mouvement des armées, il substitua des canons légers, attelés de chevaux, suivant dans leurs manœuvres l'infanterie et la cavalerie. Il avait trouvé l'infanterie formée en épais bataillons; il la disposa en lignes longues, où le rang des mousquetaires était soutenu de plusieurs rangs de piquiers, et qui, tout en couvrant de plomb une vaste étendue de terrain, présentaient encore à l'ennemi un front hérissé de fer. Soigneux des détails, il remplaça par la cartouche et la giberne l'outillage incommode dont le soldat se servait pour charger son arme. Gustave-Adolphe est le fondateur de la science moderne des batailles. Pour la stratégie, pour les grandes combinaisons de la guerre, il fut le disciple et l'émule des maîtres de l'antiquité, car si cette « partie divine[1] » de l'art militaire est inaccessible à tant d'esprits, si l'histoire peut compter ceux qui ont su la comprendre et surtout l'appliquer, ses principes et ses règles n'en sont pas moins les mêmes dans tous les âges; au contraire, l'introduction des armes à feu exigeait une tactique toute nouvelle : c'est le héros suédois qui l'inventa.

  1. « Achille était fils d'une déesse et d'un mortel : c'est l'image du génie de la guerre. La partie divine, c'est tout ce qui dérive des considérations morales, etc. » (Mémoires de Napoléon, t. V.) « Les principes de la guerre sont ceux qui ont dirigé les grands capitaines dont l'histoire a transmis les hauts faits : Alexandre, Annibal, César, Gustave-Adolphe, Turenne, le prince Eugène, Frédéric le Grand... Voulez-vous savoir comment se donnent les batailles : lisez, méditez les relations des cent cinquante batailles de ces grands capitaines; lisez, relisez l'histoire de leurs quatre-vingt-huit campagnes; c'est le seul moyen de surprendre les secrets de l'art. » (Ibid., t. II.)