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veille encore, l’Espagne, bien que sourdement travaillée et vaguement inquiète, conservait l’apparence de la paix, comme la dernière chance d’une meilleure fortune ; le lendemain, pouvoirs réguliers, lois, institutions, tout s’était effondré et avait disparu. Dans ce court intervalle que s’était-il passé ? Quelques généraux, entraînant leurs soldats dans le Camp des Gardes à Madrid le matin du 28 juin 1854, avaient relevé le drapeau des guerres intérieures. La scission de l’armée avait appelé la sédition du peuple. Sous le flot montant de l’insurrection, le gouvernement s’était dérobé pour ainsi dire, et la Péninsule restait en peu de jours avec une monarchie nominale, des forces incohérentes et des passions déchaînées. Or comment ces événemens se sont-ils accomplis et par quelle succession de circonstances ont-ils été possibles ? De quel mélange de mobiles personnels et de causes politiques sont-ils le fruit ? quelles conditions nouvelles ont-ils créées ? C’est là une histoire qui embrasse la situation actuelle de l’Espagne dans ses origines, dans ses élémens confus, dans ses perspectives les plus prochaines, avec tout son mouvement d’hommes, d’ambitions et d’intérêts.

Il y a tout d’abord un petit nombre de traits essentiels et élémentaires en quelque sorte qui se retrouvent invariablement dans le drame des révolutions politiques de l’Espagne. À travers toutes les péripéties de ces luttes de modérés à progressistes, de progressistes à modérés, qui forment l’histoire contemporaine de la Péninsule, à l’issue de tous les conflits, on peut apercevoir un fait caractéristique : c’est la présence unique et exclusive du parti qui triomphe. Soit par une logique singulière de ce fatalisme propre à la nature espagnole, soit par suite de cette facilité que rencontrent les causes victorieuses dans un pays résigné et accoutumé à changer de maîtres, la scène publique appartient exclusivement aux dominateurs du jour. Le parti opposé existe-t-il ? On ne le sait plus ; il disparaît subitement, il émigre, ou se retire tout au moins, et il attend. Il y a eu des momens, sous la régence du duc de la Victoire, où il n’y avait qu’un conservateur au congrès, c’était M. Pacheco. Il y a eu des époques, pendant le règne du parti modéré, où il n’y avait qu’un progressiste dans les cortès, c’était M. Orense. Les conservateurs étaient hier partout, ils comptent à peine quelques représentans dans l’assemblée constituante réunie aujourd’hui à Madrid. On dirait que la Péninsule est alternativement tout entière progressiste ou tout entière, modérée. Il n’en est rien. Cela prouve simplement que la vie politique au-delà des Pyrénées est une fiction dans sa représentation extérieure, et qu’au fond elle n’a point cessé d’être une guerre où chaque situation se dénoue par la force, dont les décisions sont acceptées momentanément par les vaincus jusqu’à une occasion plus