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la paix des consciences par la négociation du concordat, promulguant les codes du droit civil et du droit criminel, renouvelant enfin les conditions économiques du pays par les hardies et intelligentes réformes de M. Mon et de M. Bravo Murillo, qui ont donné à l’Espagne un système plus simple de contributions, une législation commerciale moins restrictive, une comptabilité publique claire et rationnelle. Il ne faut point oublier ce qu’était la Péninsule en 1843, au moment où la régence du duc de la Victoire disparaissait dans un immense mouvement national. Tout était à faire : en peu d’années, tout se coordonnait sous l’empire d’une pensée pratique de gouvernement.

Puissant par les lumières et par les intérêts qu’il représente, mais lent à se mouvoir et prompt à se diviser, le parti conservateur espagnol avait eu la singulière fortune de trouver un chef d’un instinct supérieur et d’une vigueur indomptable, le général Narvaez. La présence du duc de Valence au pouvoir n’offrait pas seulement la garantie d’une volonté difficile à déconcerter ; elle était le signe visible de l’union du parti modéré, son point de ralliement dans des crises qui n’étaient pas toujours d’une nature absolument politique. C’est cet ensemble de forces qui faisait la consistance de l’Espagne au milieu des révolutions de 1848. La Péninsule avait à faire face en même temps aux contagions révolutionnaires, aux entreprises du parti carliste, qui saisissait l’occasion de rallumer la guerre civile dans la Catalogne, et aux querelles violentes de l’Angleterre. Elle sortait de ces complications libre, pacifiée, diplomatiquement victorieuse de l’Angleterre, et reconnue dans son existence nouvelle par l’Europe entière, si ce n’est par la Russie, qui a attendu la guerre actuelle et la dernière révolution espagnole pour faire à la reine Isabelle la politesse de l’inscrire parmi les souverains. Le triomphe de cette politique est d’avoir fait croire à sa durée, à un état définitif, supérieur dans son principe et dans son ensemble aux évolutions et aux variations des partis. Si les chefs de l’opinion progressiste, M. Olozaga ou M. Cortina, eussent été appelés au pouvoir en ce moment, ils n’eussent demandé à coup sûr ni la réforme de la constitution de 1845, ni la convocation de la milice nationale, qui n’avait pas tout leur enthousiasme. Quant à une opposition d’une nature plus prononcée, démocratique ou républicaine si l’on veut, l’embarras eût été de trouver assez d’hommes pour former un gouvernement. Comment donc une telle situation a-t-elle pu si étrangement dégénérer ? Elle a été compromise le jour où les passions ont été plus fortes que les doctrines et l’esprit politique qui l’avaient créée, le jour où la dissolution est entrée dans toutes les sphères du gouvernement.