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Espartero au contraire avait vécu retiré jusque-là, étranger aux luttes récentes des partis et à leurs manifestations violentes, paisible dans l’effervescence universelle. On le croyait du moins. Seulement, — et c’est un point à préciser, — quand la reine pensait s’adresser au sujet fidèle, le duc de la Victoire avait déjà quitté sa retraite de Logroño, pour aller porter l’autorité de son nom et de sa présence au pronunciamento de Saragosse, accompli dès le 17. De quelque côté qu’elle se tournât, la reine Isabelle rencontrait donc la révolution partout. La royauté se trouvait décidément prisonnière au milieu de ce réseau d’insurrections qui allaient en se multipliant. En définitive il y avait trois foyers principaux où s’agitait le sort de l’Espagne : la junte de Madrid, restée la seule autorité survivante au centre de la monarchie à dater du 19 juillet ; la junte de Saragosse, où Espartero allait recevoir la délégation de sa souveraine à la tête d’une révolution, et le camp des généraux de Vicalvaro, qui, pour être un moment éclipsés, ne demeuraient pas moins les premiers promoteurs du mouvement.

La junte de Madrid avait un caractère particulier parmi toutes les juntes sorties de terre au même instant sur tous les points de l’Espagne, selon l’usage invariable. Elle exprimait assez exactement le sens complexe de cette révolution, qui avait été d’abord l’œuvre d’une fraction dissidente du parti conservateur, et à laquelle l’intervention du parti progressiste venait, au dernier moment, donner une couleur plus tranchée et plus menaçante. C’était un assemblage incohérent de deux juntes, — l’une organisée chez un banquier, M. Sevillano, et groupant des hommes relativement modérés, l’autre créée dans les faubourgs de Madrid et composée d’hommes isolés, peu nombreux, mais ardens et appartenant à la démocratie la plus avancée, comme MM. Rivero, Salmeron y Alonso, Ordax y Avecilla. Les deux juntes s’étaient réunies après le combat pour n’en former qu’une seule sous la présidence du général San-Miguel. En somme, les modérés dominaient dans cet amalgame, et s’ils étaient réduits à d’étranges concessions telles que le ridicule l’établissement de la municipalité de 1843, ou la suppression du conseil d’état par un simple décret, ils réussissaient, après une longue lutte, à empêcher que le concordat ne fût aboli par le même procédé expéditif ; ils se seraient encore moins prêtés à une entreprise directe contre la monarchie. En un mot, ils se retranchaient dans quelques positions principales, en abandonnant le reste comme une rançon de guerre civile. Nul ne personnifiait mieux cette junte que le général San-Miguel, devenu dans ces circonstances une sorte de dictateur temporaire.

Le général don Evaristo San-Miguel est un de ces hommes qui ont dans leur vie une heure où ils servent leur pays, où ils le sauvent