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de l’Union, tout comme il s’en était laissé attribuer la présidence peu de jours auparavant.

Telle est cependant la logique des situations, que cette union nouvelle du ministère était nécessairement plus apparente que réelle, plus momentanée que durable. À mesure que les questions se succédaient, les occasions de dissidence ou de conflit renaissaient d’elles-mêmes. Des cortès étaient convoquées : quel système suivrait le gouvernement devant la représentation du pays ? Prendrait-il l’initiative de toutes les grandes mesures de réorganisation publique ? proposerait-il un projet de constitution ? La reine devait-elle ouvrir en personne les cortès ? Autre question : l’armée était tombée dans une désorganisation complète par une circonstance d’une originalité toute locale. Les chefs de l’insurrection et toutes les juntes avaient promis une réduction de deux années de service aux soldats qui prendraient part au soulèvement. Il y aurait eu certainement du danger à éluder une telle promesse ; mais restreindre ; cette faveur aux soldats qui avaient pris les armes pour l’insurrection, c’était scinder l’armée en deux, exciter le mécontentement de ceux qui avaient obéi à la discipline et au devoir, et laisser debout une force ennemie de la révolution. Il en résulta qu’on étendit la réduction de deux années de service à toute l’armée, de même qu’on accordait la faveur d’un grade supérieur à tous les officiers indistinctement. C’était merveilleux, tout le monde y trouvait son profit. Seulement l’Espagne n’avait plus d’armée au moment où elle en aurait eu un besoin immense pour se défendre contre une dissolution universelle. La partie modérée du ministère n’hésitait pas sur ce point, non plus que sur tous les autres. Le cabinet, à ses yeux, devait prendre la responsabilité d’une levée nouvelle de troupes ; il devait proposer un projet de constitution ; la reine devait paraître à l’ouverture des cortès. En un mot, c’était une obligation impérieuse du gouvernement de ne laisser place à aucun doute et de rallier tous les esprits incertains sous une direction vigoureuse et assurée.

Le duc de la Victoire opposait à ces solutions une force invincible d’inertie. Il reculait devant l’impopularité de la conscription ; quant à un projet de constitution, quant à l’intervention de la royauté dans l’inauguration des cortès, quant à tout ce qui pouvait engager le gouvernement, il se retranchait dans une sorte d’interprétation mystérieuse de la volonté nationale, arbitre suprême des grandes questions du moment. Cela voulait dire que toutes les espérances vivaient encore autour d’Espartero, qu’il se poursuivait un travail sourd tendant à prolonger une incertitude d’où pouvaient naître des crises et des combinaisons nouvelles. Le duc de la Victoire ne parlait pas, il laissait parler pour lui. Et que disait un de ses amis dévoués, le général