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chez le ministre d’Angleterre, lord Howden. Le duc de la Victoire se présenta en effet comme candidat à la présidence de l’assemblée, et il se trouva que devant son nom tous les noms s’effacèrent ; il fut élu par toutes les nuances d’opinion. Ce succès guérit un peu la blessure de son amour-propre, et il retomba dans son inertie. Espartero finit par proposer à O’Donnell de rester avec lui au ministère comme ils étaient avant, en appuyant désormais la candidature du général Infante à la présidence des cortès[1]. Or, cette mêlée de prétentions personnelles une fois éclaircie, le congrès une fois constitué et le gouvernement recomposé, quel était le dernier mot de cette révolution ? quel sens avait-elle dans la situation de l’Espagne ? Et mieux encore, qu’est-ce qu’une révolution au-delà des Pyrénées ?

Il y a un fait qui est pour l’Espagne une source de malheurs et pour ceux qui la jugent une source d’erreurs et de déceptions : c’est une disproportion permanente entre les mots et la réalité. Les mots sont révolutionnaires souvent, la réalité ne l’est pas. Les partis élèvent des questions qui n’existent pas pour le pays. Creusez un instant ce sol agité et dévasté à la surface, vous trouverez dans l’organisme moral de ce peuple une force de résistance invincible jusqu’ici à toutes les idées politiques, sociales, religieuses, que représente ce mot de révolution. Est-ce une idée républicaine que contenait ce mouvement de 1854, comme l’ont laissé croire après juillet quelques journaux sortis des pavés de Madrid ? La république, on le sait bien, n’est point une chose sérieuse au-delà des Pyrénées. C’est le fétiche de quelques imaginations troublées par les influences européennes. Tous les républicains de la Péninsule sont peut-être dans le congrès aujourd’hui ; ils sont moins de vingt, qui ont pris à la dernière révolution française ce qu’elle avait de plus parfait, le suffrage universel, la liberté illimitée des clubs et de la presse, l’abolition du recrutement, — un programme qui n’a d’autre défaut que de rester incompris ! Si la république était possible un instant au-delà des Pyrénées, ce serait l’anéantissement de tout progrès, la dissolution même de l’Espagne. Tous les membres de ce corps malade se disjoindraient aussitôt ; toutes les passions, toutes les jalousies, tous les antagonismes se réveilleraient et seraient aux prises. C’est la monarchie qui est l’image vivante de l’unité espagnole, qui apaise sous son autorité tutélaire l’esprit d’indépendance individuelle, les rivalités des provinces, les vieilles rébellions locales, et qui reste la seule garantie

  1. À ce moment, il y eut cependant une modification ministérielle ; M. Pacheco quitta le ministère des affaires étrangères pour aller comme ambassadeur à Rome. C’était un affaiblissement de la partie modérée du cabinet, comme le fut quelques jours plus tard la retraite de M. Collado, ministre des nuances, et son remplacement par M. Pascual Madoz.