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grandes dates progressistes. On y a mis la plus singulière puérilité, au point de rétablir des employés aux places qu’ils occupaient en 1843. Il y avait un corps qui méritait bien quelque reconnaissance des vainqueurs de juillet, puisqu’il avait poussé le premier cri de révolution, c’est l’ancien sénat ; il avait certes prouvé qu’il n’était pas nécessairement la créature du pouvoir. Le sénat a disparu uniquement parce qu’il portait la date de 1845, et on le remplace par un sénat électif dont M. Olozaga a eu l’idée. Il y avait une institution qui avait pris rang dans l’organisation administrative de l’Espagne, et qui avait attesté son indépendance, sa fermeté dans l’examen des concessions de chemins de fer, c’est le conseil d’état. Le conseil d’état a été supprimé révolutionnairement, et depuis près d’un an la Péninsule vit avec un tribunal administratif provisoire, en attendant que les cortès aient fait une constitution. Les lois sur les municipalités ont eu le même sort. On n’a point osé toucher à l’ensemble du système de contributions, mais l’on a supprimé l’un des principaux impôts, la taxe sur les objets de consommation. Le profit tout entier a été pour les marchands, non pour le peuple, et le gouvernement s’est trouvé avec un déficit qu’il ne sait comment combler. C’est ainsi qu’ont procédé les hommes auxquels est échue cette victoire, inespérée du mois de juillet 1854.

La première faute commise par le parti triomphant en juillet, celle qui a engendré toutes les autres, c’est d’avoir évoqué ce fantôme de cortès constituantes. Où donc se faisait sentir ce besoin d’une constitution nouvelle ? Le mal ne venait point en Espagne du vice de la constitution ; il est toujours venu de ce que le régime représentatif, depuis qu’il est établi, n’a été plus ou moins, il faut le dire, qu’une grande fiction pour tous les gouvernemens et pour toutes les opinions. Nous n’en citerons qu’un exemple. Voilà vingt ans déjà que le régime constitutionnel existe au-delà des Pyrénées, tous les partis ont été au pouvoir et ont régné tour à tour : eh bien ! pas une fois encore le budget n’a été voté par les chambres, et c’est même depuis quelques années seulement qu’il y a un budget véritable. Il y a mieux : depuis plus de six mois, des cortès sont réunies à Madrid ; on a fait des discours sur tout, on a passé plusieurs jours à discuter l’étrange question de savoir si la milice nationale avait le droit de délibérer sur les affaires politiques : on n’a point trouvé le temps d’aborder sérieusement l’étude d’une loi de finances ! Ce n’est point cependant la faute de la constitution de 1845 et des modérés. Le parti progressiste n’a point vu qu’en faisant surgir du sein du pays ces cortès constituantes, il créait un pouvoir irrégulier et anormal, qui serait à la fois infatué et embarrassé de ses prérogatives, qui serait conduit à mettre la main sur toute autorité sans savoir agir. C’est ce qui s’est