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réalisé en effet. Jamais il n’a été offert un plus triste spectacle que celui de cette assemblée, s’égarant dans des discussions sans limites, soumettant à des controverses oiseuses les principes les plus essentiels de gouvernement, perdant son temps en interpellations et en motions inutiles, livrée à la merci des incidens et des surprises. Un des traits caractéristiques de cette assemblée considérée dans son ensemble, c’est l’absence de tout esprit politique, de toute direction, et par malheur le gouvernement n’a pas eu plus d’initiative que le congrès.

Ministère et cortès, quel élément d’ordre ont-ils créé ? De quelle amélioration féconde ont-ils doté le pays ? L’œuvre, la grande œuvre du gouvernement et du congrès jusqu’ici, c’est la loi de désamortissement, qui met en vente les propriétés de l’église, des communes, des établissemens de bienfaisance et de l’état. Le jour où cette loi a été adoptée, le ministre des finances, M. Madoz, a dit que la révolution avait fait un pas gigantesque. Or ce pas gigantesque a conduit l’Espagne à un commencement de guerre civile, une insurrection carliste est née dans l’Aragon. Dans les provinces basques et en Navarre, les autorités locales ont déclaré qu’elles ne répondaient plus de la tranquillité publique, si la loi de désamortissement était exécutée. Le gouvernement se trouve donc placé entre un désaveu de sa politique et un acte de témérité qui peut mettre la Péninsule en feu ! Les opinions progressistes ne règnent pas depuis longtemps à Madrid, et elles aboutissent déjà à de singuliers résultats. La révolution actuelle s’est faite contre un gouvernement qui avait décrété un emprunt forcé. Aujourd’hui la dernière ressource du ministère et des cortès constituantes, c’est un emprunt forcé. Il y a un an, on se soulevait contre un système politique qui violait les lois, qui suspendait la constitution, qui soumettait l’Espagne au régime militaire. En ce moment, la moitié de la Péninsule est en état de siège ; le gouvernement a réclamé des pouvoirs extraordinaires ; le parti progressiste a même imaginé quelque chose de mieux, c’est de suspendre des garanties constitutionnelles qui n’ont pas encore une existence légale. Étrange destinée que celle d’une constitution mise en interdit avant sa naissance ! Les mouvemens carlistes qui ont rendu ces mesures nécessaires s’apaiseront sans doute ; mais l’Espagne n’en serait point venue là, si le gouvernement et les cortès eussent travaillé à raffermir les institutions au lieu de les ébranler, s’ils eussent offert à tous les esprits le drapeau d’une politique rassurante et protectrice. Faut-il imputer cette situation à la force des choses, à la logique des opinions ? En Espagne plus qu’ailleurs, les opinions ne sont rien sans les hommes, et les hommes qui personnifient la révolution actuelle, aujourd’hui comme depuis un an, sont évidemment Espartero et