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peu près d’énergie égale dans les deux sexes[1] . A huit ans, fillettes et garçons brûlent par heure de cinq à six grammes de carbone. Cette quantité s’accroît très lentement et d’une façon à peu près proportionnelle pour les uns et les autres jusqu’à l’époque de la puberté : ils ne sont jusque-là ni mâle ni femelle, ils sont neutres; mais aussitôt que les sexes se caractérisent, la respiration chez le jeune homme manifeste un redoublement d’activité qui augmente rapidement, tandis que chez la jeune fille et la jeune femme cette fonction reste stationnaire, — si bien que vers l’âge de trente ans le premier brûle de onze à douze grammes de charbon par heure, tandis que la seconde n’en brûle que six ou sept grammes. Puis, lorsque les progrès de l’âge et les transformations qui en sont la suite tendent à rapprocher les deux sexes en effaçant ce qu’il y a de plus saillant dans leurs caractères distinctifs, l’activité respiratrice chez la femme reprend une marche ascendante et se rapproche de ce qui existe chez l’homme, sans pourtant atteindre jamais une limite aussi élevée. Ces curieux résultats physiologiques pourraient, on le voit, fournir un argument de plus aux anatomistes peu courtois qui ont voulu ne voir dans la femme qu’un homme frappé d’arrêt de développement et abaissé d’un degré dans l’échelle des êtres.

Nous sommes bien loin d’admettre l’opinion qui précède, mais le fait dont on l’a tirée n’en est pas moins des plus remarquables. Nous voyons ici une fonction importante enrayée et rendue stationnaire par la marche normale du développement, au moment même où l’organisme se complète. Cette marche n’est donc pas constamment et absolument progressive. Bien des faits que fournit l’examen des mammifères, et surtout l’étude de leurs facultés, confirment cette conséquence. Presque toutes les espèces sauvages peuvent être apprivoisées dans leur jeune âge : la mémoire et l’intelligence prédominent alors chez elles et permettent cette espèce d’éducation; mais, quand arrive l’âge adulte, l’instinct reprend le dessus, et l’animal quasi domestique devient une bête féroce[2]. Parfois l’extérieur même traduit ce changement. Chez l’orang jeune, l’ensemble de la tête se rapproche assez de celle de l’homme : le crâne est lisse et arrondi, le front élevé, la face à peine plus proéminente que dans certaines races humaines; chez l’orang adulte, le crâne s’est hérissé de crêtes

  1. Recherches sur la quantité d’acide carbonique exhalé par le poumon dans l’espèce humaine, dans les Annales des Sciences naturelles, 1843.
  2. On sait aujourd’hui, grâce surtout aux recherches de Frédéric Cuvier, que presque tous les animaux possèdent à la fois de l’intelligence et de l’instinct, c’est-à-dire que leurs actes sont en partie raisonnes et en partie irréfléchis. La plupart des travaux relatifs à cette question ont été parfaitement résumés par M. Flourens dans un ouvrage intitulé de l’Instinct et de l’Intelligence des animaux.