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sommeil avait fermé ses yeux, comme il replie l’aile des petits oiseaux ; je me relevai, je la regardai encore ; elle était l’idéal de la beauté ! Une de ses mains était hors du lit, je me penchai sur elle, je sentis sa chaleur et son parfum. Ma vue se troubla tellement que je voyais à peine le visage d’Isaure ; je m’en approchai, son souffle m’enveloppa, tout mon être fut pris d’un frémissement inconnu ; les objets tournèrent autour de moi, j’entrai dans un monde nouveau, je devins différent de moi-même ; le réel n’exista plus, ce fut le rêve ; oui, le rêve souffla sur moi.

J’appliquai mes lèvres sur son visage, je crois qu’elle jeta un cri, je l’entendis vaguement, mais comme si je roulais, sans me reconnaître, dans une tempête étourdissante et sans pouvoir m’arrêter. Je la saisis dans mes bras, et, malgré ce cri que j’avais certainement entendu, l’esclave méconnut la volonté du maître, la matière domina l’esprit.

Revenu à la réalité, je cherchai Isaure. Elle sanglotait cachée en un coin de la chambre. Ah ! malheureux ! malheureux ! Je me traînai à genoux vers elle. À la vue de ses larmes, ma langue se délia, les mots s’échappèrent de mes lèvres. Il me semble que je lui dis mon adoration, il me semble que mon âme pour la première fois s’échappa librement vers elle ; mais je ne me l’appelle pas si elle me répondit : elle resta le front caché dans ses mains, et me fit signe de la laisser à ses impressions. Je me prosternai devant elle.

M. Evens et les femmes entrèrent avec le jour, et moi, je quittai Isaure, je la quittai volontairement Comment cela se fit-il ? Je l’ignore.

Je sortis du château. J’allai très loin. Je m’enfonçai dans les bruyères et me laissai tomber sur le sol. Le ciel, au-dessus de ma tête, roulait de gros nuages noirs qui se heurtaient dans leur course folle, quoiqu’il y eût un grand silence autour de moi, et que le vent ne fit pas incliner les choses de la terre ; je regardai ces nuages terribles dans leur agitation ; je les regardai machinalement, car il y avait un temps d’arrêt dans mes facultés, je me sentais condamné à l’immobilité, comme les rochers du côté nord de l’étang, qui restent des siècles à contempler les deux. Le vide de mon cerveau me causait cependant une souffrance confuse qui me rappelait que j’étais un être différent, des objets inanimés qui m’entouraient.

Le mouvement des nuages, monotone et déréglé tout à la fois, en face de mon inertie de corps et d’esprit, finit par m’étourdir, comme si j’avais été ballotté par les flots, et pourtant mon œil restait invinciblement fixé sur eux. Ils glissèrent plus doucement, puis le ciel reprit une surface unie, et dans sa profondeur brilla tout à coup une étoile ; elle devint de plus en plus visible et brillante, elle se rapprocha,