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possèdent aucuns biens en propriété que leurs âmes, parce qu’elles n’ont pu être vendues à l’encan. Les habitans des villes, après avoir payé la subsistance et le quartier d’hiver, les étapes et les emprunts, acquitté le droit royal et la confirmation, sont encore imposés aux aisés… Tout le royaume est languissant, affaibli, épuisé par la fréquence des levées extraordinaires de deniers qui sont le sang du peuple et le nerf de l’état, qui produisent une maladie d’inanition dans laquelle les remèdes sont aussi peu supportables que le mal… Faites, madame, quelque sorte de réflexion sur cette misère publique dans la retraite de votre cœur ! Ce soir, dans la solitude de votre oratoire, considérez la calamité des provinces, dans lesquelles l’espérance de la paix, l’honneur des batailles gagnées, la gloire des provinces conquises, ne peuvent nourrir ceux qui n’ont point de pain, lesquels ne peuvent compter les myrtes, les palmes et les lauriers entre les fruits ordinaires de la terre[1]. »

Tel était le sort des populations au moment où les princes, les grands et les membres de la magistrature commençaient à s’agiter pour la réformation de l’état, à réclamer des garanties dont tous semblaient ressentir le besoin à un degré égal. À qui celles-ci ne manquaient-elles point alors ? La noblesse provinciale, décimée depuis deux siècles par les guerres et par les dissensions civiles, avait supporté les conséquences de l’appauvrissement général des campagnes, et le nouveau mode d’administration établi par Richelieu lui avait enlevé toutes ses prérogatives utiles, en ne lui conservant que les privilèges qui commençaient à la rendre odieuse. Dans cet affaissement de toutes les forces, la noblesse de cour avait seule gagné, non point en droits politiques, mais en influence et en fortune. Placée près du soleil, elle s’était réchauffée à ses rayons, mais elle avait trop souvent payé la faveur royale au prix des plus honteuses complaisances et des plus tristes complicités. Depuis le règne de Henri IV, de nobles filles étaient devenues la tige de ces familles semi-princières que la puissance royale, dans ses enivremens, commençait à interposer entre elle et les plus illustres races. Sous le règne suivant, les plus grandes familles du royaume avaient reçu et quelquefois sollicité les riches dépouilles que des meurtres juridiques plaçaient à la disposition du souverain, et jusque dans la maison de Condé on voyait de grandes terres dont les titres de propriété étaient écrits avec du sang. Le trésor public semblait devenu la propriété personnelle du monarque, et les biens d’origine religieuse étaient journellement détournés de leur destination populaire pour les plus scandaleuses attributions. À l’aide de confiscations prononcées par

  1. Omer Talon, lit de justice du 15 janvier 1648. Mémoires, tome 1er.