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lui fut très difficile de revêtir plus tard un caractère sérieusement politique. Si des questions théoriques touchant à des intérêts généraux se trouvèrent bientôt après soulevées par cette invincible logique qui gît au fond de toutes les agitations révolutionnaires, les magistrats reculèrent pleins d’épouvante devant ces questions redoutables aussitôt qu’elles se trouvèrent posées avec leurs conséquences nécessaires. Bien loin de provoquer la controverse entre les droits de la couronne et les droits de la nation, qui ne s’accordent jamais mieux que dans le silence[1], les parlementaires s’efforçaient d’étendre leurs prérogatives sans s’engager dans des discussions doctrinales qu’ils appréhendaient confusément de voir tourner contre eux-mêmes. De la sorte, placés finalement dans l’alternative ou d’agrandir le champ de bataille ou de le déserter, ils aimèrent mieux reculer jusqu’à l’obéissance passive que de continuer la résistance, au risque de tomber dans la sédition.

Ce ne furent ni les arrestations arbitraires, ni la mise en oubli des droits antiques de la nation, ni la guerre indéfiniment prolongée qui provoquèrent d’abord les résistances parlementaires. On avait vu, au début de l’administration de Mazarin, toute la magistrature se soulever, parce que deux huissiers, apportant un arrêt du conseil du roi, étaient entrés la toque sur la tête et la chaîne au cou dans l’une des chambres des enquêtes, — et lorsque le gouvernement de la régente pouvait enfermer, sans forme de procès et sans recevoir d’observations, le duc de Beaufort à Vincennes, il était contraint de s’excuser humblement près de messieurs de la conduite des sieurs Tourte et Quiquebœuf[2]. Quand pour se procurer de l’argent à tout prix on eut imaginé de faire revivre tout d’un coup des édits tombés en désuétude, par lesquels les propriétaires d’un nombre immense de maisons construites de bonne foi se trouvèrent menacés d’expropriation et de ruine, l’irritation du parlement devint plus vive, et il attaqua avec violence l’édit du toisé. Cependant sa résistance ne porta point sur le fond de la mesure elle-même. Dominé par l’esprit formaliste qui faisait de ses membres les meilleurs des magistrats et les plus tristes des hommes politiques, il se borna à protester contre la disposition qui renvoyait les appels des jugemens rendus par les officiers du Châtelet en matière de toisé au conseil du roi, au détriment de sa propre juridiction. Bientôt après, lorsque le contrôleur général, pour faire face aux charges énormes de la guerre, se trouva conduit à la dure extrémité de frapper d’un emprunt forcé les capitalistes, le parlement ne fit point à cette mesure d’objections tirées des

  1. Le cardinal de Retz.
  2. Mémoires d’Omer Talon, année 1644.