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la vivante physionomie, travaillait à détourner les esprits modérés d’une ligue qui semblait engager le parlement de Paris dans les voies terribles où marchait alors le parlement britannique ; mais les périls évoqués dans l’avenir n’avaient guère plus d’effet que les précédens exhumés du passé, et la force seule pouvait arrêter, dans l’essor de son esprit d’entreprise, la magistrature et la bourgeoisie parisienne étroitement associées.

À peine l’arrêt d’union fut-il connu, qu’avec un empressement qui était un symptôme plus sérieux que tous les autres, la plupart des parlemens du royaume lui donnèrent leur adhésion. L’on vit la chambre de Saint-Louis continuer ses travaux en face de la cour, malgré des injonctions réitérées et nonobstant les efforts de Mathieu Mole pour arrêter un mouvement qu’il approuvait dans son principe, mais qu’il répudiait dans sa forme, de plus en plus irrégulière. De son autorité suprême, cette chambre révoqua les intendans de justice, réduisit les tailles d’un quart en faisant remise au peuple de l’arriéré ; elle défendit sous peine de la vie de lever aucuns deniers autrement qu’en vertu d’édits vérifiés au parlement avec pleine liberté de suffrages. Enfin une disposition qui, dans ce temps-là, pouvait être considérée comme plus importante encore interdit de détenir aucun sujet du roi plus de vingt-quatre heures sans l’interroger et le remettre à son juge naturel.

La petite-fille de Philippe II assistait impuissante et désespérée à cette audacieuse démolition de l’autorité royale. Brave comme un soldat qui ne connaît pas le danger, ainsi que le disait son ministre, la régente aurait voulu tout d’abord courir sus aux factieux ; mais le cardinal doutait du succès d’une attaque contre une population unanime dans ses colères et qui avait derrière elle toute la magistrature française ; il appréhendait surtout de perdre la direction des événemens, s’il la remettait aux chefs de l’armée, beaucoup plus redoutables pour lui que les parlementaires. Mazarin se décida donc à ouvrir une négociation simulée entre le parlement, tout infecte de la passion du bien public[1], et la royauté, résolue d’avance à se délier d’engagemens pris avec des séditieux, et qu’elle considérait comme parfaitement nuls en soi. De tels colloques, où les uns promettaient ce qu’ils entendaient ne pas tenir, où les autres, en se voyant dépassés par les violences populaires, arrivaient à s’effrayer de leur audace, étaient de tout point le fait du duc d’Orléans, l’homme du royaume le plus expert dans l’art de commencer sans finir et de parler sans conclure ; mais, à la nouvelle de la bataille de Lens, l’audace revint a la cour avec la victoire, et Mazarin céda à l’illusion

  1. Mme de Motteville.