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moins que le prince de Condé, alors à la tête des troupes de la reine. Mazarin ne voulait discuter aucun des articles, afin de rester plus libre pour les révoquer tous en temps opportun. Il s’engageait dans d’interminables conversations dont on ne rapportait rien de précis, quoiqu’on en sortît ébloui par son esprit et fasciné par ses demi-promesses. « Le fort de M. le cardinal Mazarin était proprement de ravauder, de donner à entendre, de faire espérer, de jeter des lueurs, de les retirer, de donner des vues, de les brouiller, et son génie était tout propre à se servir des illusions que l’autorité royale a toujours abondamment en main pour des négociations[1]. »

Toutefois le système de son ministre ne put prévaloir complètement auprès de la régente, et celle-ci résista avec une sorte de désespoir personnel à l’article qui stipulait le renvoi de tous les citoyens devant leurs juges naturels. Le droit d’incarcération arbitraire paraissait en ce temps-là tellement inhérent à la royauté, qu’Anne d’Autriche considérait comme un crime d’en faire, ne fût-ce que pour un jour, l’abandon nominal. Le prince de Condé, malgré ses souvenirs de famille et le sort qui l’attendait bientôt lui-même, partageait pleinement sur ce point les répugnances de la reine. Cependant, « quoiqu’il valût mieux pour le roi sacrifier une partie du royaume que de faire un tel préjudice à son autorité, et encore qu’on le fît avec l’intention de l’annuler, la nécessité y contraignit, dit un des négociateurs de la régente, et le parlement revint à Paris, chargé des dépouilles de notre honte, et enregistra cette déclaration[2]. »

Celle-ci demeura stérile, comme tout ce qui sortit de ces temps incertains jetés entre le passé et l’avenir, sans posséder les robustes convictions qui firent la puissance des hommes de la limite, ni les ardentes espérances qui enflammaient la génération révolutionnaire. Les principaux articles de cet acte ne furent que vaguement rappelés dans le traité négocié en 1649 entre la régente et le parlement, et quand la guerre eut recommencé, quand la direction en eut été remise aux princes et aux grands seigneurs, ces généreux principes ne figurèrent plus, même pour mémoire, dans aucun des innombrables programmes d’accommodement journellement enfantés à cette époque, durant laquelle, après le plaisir de se battre, on n’en connaissait pas de plus grand que celui de négocier.

Il y avait sans doute dans la déclaration du 24 octobre, comme le veut M. de Sainte-Aulaire, le germe d’un bill des droits ; mais pour qu’il en sortit des conséquences pratiques, il aurait fallu d’abord que le parlement se crût sérieusement en droit de représenter la

  1. Mémoires du cardinal de Retz, livre IV.
  2. Mémoires du comte de Brienne, deuxième partie.