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de sa maison, non moins que son influence dans l’armée, en faisait le plus redoutable des ennemis. Pourtant, comme il n’entretenait, aucune arrière-pensée menaçante pour la sécurité du trône, qu’il aspirait à dominer le pouvoir et point du tout à l’ébranler, l’intérêt du jeune roi aurait commandé à son ministre de fléchir devant l’orgueil du prince pour n’avoir pas à reculer devant son épée. En s’inspirant de son amour-propre humilié pour frapper une si haute tête, Mazarin commit une double faute. D’abord il se plaça dans une situation toujours désavantageuse à un homme public, car il mit sa politique en contradiction avec sa propre nature ; il fit un acte de violence auquel n’avait point préparé sa conduite et que son caractère le rendait incapable de soutenir, si bien qu’on y vit un accident plus qu’un système, et qu’il souleva l’opinion sans l’intimider. Ensuite il eut le tort plus grave de fournir à ses ennemis un grief légitime et de donner lui-même un chef à un parti qui n’en avait point. Prendre un plaisir d’écolier à profiter d’une reprise de confiance pour se faire remettre par Condé lui-même, en sa qualité de chef de l’armée, les ordres relatifs aux détails de sa propre incarcération en arguant de l’arrestation prétendue d’un autre prisonnier d’état, c’était abaisser la politique jusqu’à l’escamotage. Appeler, après une réconciliation toute récente, trois princes du sang dans le cabinet de la reine pour les arrêter dans l’effusion d’une conversation privée, c’était importer en France les plus odieuses traditions de l’Italie. Les enfermer à Vincennes sans aucune forme de procès, c’était violer avec effronterie l’un des grands principes pour lesquels la population de Paris venait de verser une première fois son sang ; c’était enfin sceller de sa propre main l’union de toute la magistrature avec la noblesse, dont les femmes étaient surtout ardemment dévouées au jeune héros qui comptait moins de lustres que de victoires[1].

Sitôt que Condé fut malheureux, on oublia ses torts pour ne songer qu’à sa gloire. Ceux qu’avait irrités son orgueil inclinèrent à le trouver légitime, en voyant le peu que pesaient tant d’aïeux et tant de triomphes auprès d’un homme qui n’avait rien de français ni dans le sang ni dans le cœur. Transféré avec ses deux frères de Vincennes à Marcoussy, et de ce château-fort dans la citadelle du Havre, Condé, tout despote qu’il fut lui-même, devint pour un temps le symbole de toutes les aspirations généreuses. L’acte de violence préparé par Mazarin avec plus de duplicité que de réflexion bouleversa toutes

  1. Les détails relatifs à l’arrestation du prince de Condé, du prince de Conti et du duc de Longueville se trouvent dans tous les mémoires du teints ; mais ils ne sont groupés nulle part d’une manière aussi complète que dans l’Histoire de M. Bazin, tome IV, ch. 4. Ce livre est un trésor de science : c’est une justice que j’aime à lui rendre, quoique l’auteur se soit placé à un point de vue différent du mien.