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dans les originaux, et qu’expriment si bien d’aimables légendes dont le souvenir s’éveille dans notre âme avec cette apparition intérieure des chefs-d’œuvre perdus. Pour la produire, il faut, comparant ce que j’appellerai les diverses éditions de la même statue, les corrigeant pour ainsi dire l’une par l’autre, en retrancher toutes les fautes d’impression, et restituer ainsi le texte vrai du poème. Ce texte idéal, c’est l’œuvre du sculpteur grec ; les fautes d’impression sont le fait des artistes romains.

Il existe au Vatican un Amour mutilé dont le torse a été presque seul épargné par le temps. On s’accorde à y reconnaître l’un des deux célèbres Amours de Praxitèle. Celui-là porte bien dans son exécution quelques traces de l’imperfection de la main qui l’a sculpté ; mais la finesse et la grâce de l’original s’y retrouvent, ce me semble, aussi à un haut degré. Il est resté beaucoup du sentiment grec dans cette sculpture qu’on croit romaine ; de plus, il y a dans ce regard baissé et profond une expression triste que je n’ai vue qu’à cet Amour-là. C’est la tristesse passionnée de Phèdre et de Didon, qui ressemblerait à la mélancolie des modernes, si elle était moins ardente ; c’est l’expression de l’amour malheureux, tel que le concevaient les anciens, sur le front d’un dieu.

À travers l’art romain qui reproduit, on peut étudier l’art grec qui invente. Myron passait pour exprimer mieux que personne la vie dans l’homme et dans l’animal. Rome possède deux copies antiques d’une statue célèbre de Myron, le Discobole ; c’est un athlète qui va lancer le disque. Toutes deux sont très belles : le corps penché en avant, une des jambes infléchie et presque traînante, font admirablement sentir l’attention du Discobole concentrée dans l’action qu’il est près d’exécuter. À Rome, on peut juger de la vérité de cette pose expressive, car on y rencontre souvent sur son chemin de jeunes garçons qui s’exercent, au grand danger des passans, à ce jeu antique.

La vérité avec laquelle Myron représentait les animaux était célèbre dans l’antiquité. Pétrone dit que personne n’avait hérité de son habileté en ce genre ; on peut juger de ce que devait être cette habileté merveilleuse par les sculptures du même genre qui remplissent la Salle des Animaux au Vatican. Plusieurs de ces images d’animaux offrent la nature même prise pour ainsi dire sur le fait ; on peut les considérer comme appartenant à l’école de Myron, comme dues à des imitateurs romains de ce Grec fameux, et leur perfection, déjà bien grande, nous donne une haute idée de la perfection des originaux, que sans doute elles n’égalaient pas.

La vue de ces animaux, rendus avec une si extrême fidélité, suggère une réflexion qui s’applique également aux Grecs et aux Romains,