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effet de donner aux industries naturelles le temps et les moyens de se développer. — Seulement, poursuit l’auteur en manière de correctif, cette protection ne saurait s’étendre à toutes les industries ; il convient de choisir entre elles, de distinguer celles qui sont en mesure d’en user utilement et sans que le privilège puisse jamais durer au-delà des délais nécessaires pour une épreuve loyale. Telle est la transaction à laquelle souscrit M. John Stuart Mill avec plus de naïveté que de prévoyance, et il ne semble pas se douter qu’au lieu d’une simple exception, c’est la règle même qu’il livre. Le biais qu’il imagine, les termes dont il se sert sont précisément ceux qu’emploient le plus volontiers les industries que couvre la protection. À les entendre, ce n’est pas d’une mesure définitive qu’il s’agit, mais d’un moyen provisoire, d’une trêve, d’un répit, d’un ajournement. Elles déclarent qu’elles sont venues au monde d’hier, et que, pour assurer leurs premiers pas, elles ont besoin de trouver un appui dans la loi ; que les industries étrangères sont leurs aînées, et qu’il serait imprudent de leur ouvrir la lice avant que les industries nationales aient acquis toutes leurs forces et atteint tous leurs développemens. Or quelle différence y a-t-il entre ce langage et celui que tient M. Stuart Mill ? Aucune, et quant aux réserves qu’il exprime, le moindre examen suffit pour en démontrer la vanité. Sur quoi portent-elles ? D’abord sur le choix des industries dignes d’une protection temporaire, puis sur la durée et les limites de cette protection. Eh bien ! ce sont là deux points au sujet desquels il n’a jamais été possible de se mettre d’accord.

En premier lieu, il n’est point d’industrie, si précaire qu’elle soit, qui ne se croie fondée à réclamer sa part du privilège, une fois établi, et n’entende être préservée des atteintes de la concurrence étrangère. Dès lors comment distinguer entre elles ? à quels signes reconnaître celles que l’économiste anglais voudrait assujétir à un traitement particulier, comme étant susceptibles de rendre au pays avec usure les faveurs dont elles auraient été l’objet ? C’est là une opération délicate, et qui soulèverait plus d’une plainte, amènerait plus d’une difficulté. Évidemment entre les industries il n’y aurait pas de choix possible : toutes voudraient être mises sur le même pied ; toutes demanderaient à être protégées, ne fût-ce qu’à titre d’essai. De là un premier échec pour la transaction de M. Stuart Mill. Reste maintenant le second terme de cette transaction, — la durée du droit protecteur. Il n’est pas besoin de s’y arrêter longtemps pour y découvrir des difficultés non moins insolubles. À quel délai se tenir ? Comment fixer le moment précis où une industrie a acquis une force suffisante pour la lutte et peut sans inconvénient passer d’un régime de faveur à un régime de liberté ? Attendre des industries elles-mêmes la