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dont, par leurs idées, ils expriment les causes les plus profondes. Non-seulement le fond, mais la forme même de leurs œuvres, déterminée par ces idées, participe à cette suite et à ce développement. L’art n’est plus un phénomène à part, il est un des élémens essentiels de l’histoire, qu’à chacune de ses phases il explique à sa manière. Ainsi la littérature n’exprime pas seulement la société à un moment donné ; elle en suit les transitions et les transformations, qu’elle manifeste lors même qu’elle voudrait leur faire obstacle.

Une autre conséquence, c’est que, dans nos vues modernes, les mœurs et l’esprit des nations étant devenus la chose essentielle et pour ainsi dire le point central de l’histoire, la littérature, qui en est le témoignage le plus direct et le plus clair, devient aussi le centre de l’histoire sociale, et tend à en occuper la principale partie. En effet, quoique l’ancien système historique, qui s’étend longuement sur les événemens extérieurs, les guerres, les révolutions et les habiletés politiques, n’ait pas cessé de prévaloir et de disputer le terrain à l’histoire des idées, il est visible néanmoins qu’il accorde déjà à celles-ci une place infiniment plus grande qu’autrefois. D’ailleurs, plus le cercle de l’histoire s’étendra, plus il deviendra indispensable, pour ne pas accabler la mémoire, d’en élaguer les choses les moins nécessaires, qui tomberont ainsi dans les spécialités de l’érudition. Alors l’histoire des idées, des croyances et des mœurs, jugée avec raison la chose essentielle, s’emparera d’un espace relativement plus vaste ; l’histoire de la littérature, prise dans son sens le plus étendu, deviendra peu à peu l’histoire même, et peut-être le temps n’est-il pas éloigné où nous la verrons traiter tout entière de ce point de vue pour les époques où cela est possible, méthode qui ne serait ni la moins agréable, ni la moins instructive.

Une troisième conséquence que nous avons à remarquer, et qui nous amène directement à notre sujet, c’est que, dans cette promotion de la littérature en dignité et en importance, tous les genres qui la composent, même ceux qui paraissaient frivoles, deviennent, comme documens historiques, aussi dignes, plus dignes quelquefois d’attention et d’étude que les moulinions les plus graves et les renseignemens les plus directs. La comédie, entre autres, pourra être appelée en témoignage au même titre que les plus sérieuses dépositions de l’histoire proprement dite, et Aristophane nous apprendra sur la démocratie athénienne plus de ces choses capitales — qui décident de tout dans une société parce qu’elles en sont le fonds même — que Thucydide ou Xénophon. Cela ne trouble en rien la hiérarchie des genres ; chacun d’eux reste à la place qui lui est assignée par la nature et l’élévation des idées qu’il exprime, des sentimens qu’il fait naître. Comme œuvre d’art, la comédie n’aspirera point au rang