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l’idéal. Quant à la comédie, elle repose sur de tout autres bases ; son sujet essentiel, c’est la vie inférieure, circonscrite, dépouillée de toutes ces grandes idées générales qui se rattachent au problème de la mort. La vie ainsi couchée à terre se remplit aussitôt d’une foule de petitesses, de sottises, de vices ; elle devient une arène pour l’égoïsme, l’intrigue, la cupidité, l’hypocrisie ; elle est misérablement tourmentée, inconsistante, triste et risible tout à la fois. Si à son origine la comédie s’attaqua aux dieux et aux hommes politiques, ce fut pour les ravaler à ce niveau infime de l’humanité. En un mot, elle est la critique du faux et de l’humain, comme la tragédie est l’exaltation du vrai et du religieux. Ces deux nouveaux genres, qui se formaient dans la poésie nationale, n’étaient, on le voit, que les deux mêmes termes de la pensée de la nation ; mais, en se séparant, ils se développaient bien mieux, et sous cette forme nouvelle, en contact immédiat avec le peuple dont ils étaient sortis, ils arrivaient à une expression plus nette, ils allaient plus rapidement à leurs conséquences.

La petite pièce satyrique qui accompagnait la tragédie dans les fêtes de Bacchus fut la première forme théâtrale dont se revêtit l’esprit ou plutôt le sentiment comique. La tradition fournissait les chœurs des satyres, ce n’étaient que de gaies mascarades populaires qui faisaient à la campagne le divertissement de la fête ; mais quand le grand drame apparut, les poètes firent du divertissement satyrique un petit drame, et ils lièrent les deux drames l’un à l’autre de telle manière, que celui-ci devint généralement la parodie de l’autre. Sans doute l’esprit des spectateurs ne se serait pas senti satisfait par la manifestation d’un seul élément de sa pensée ; il voulait se voir exprimé en entier ; la fête eût été boiteuse, il fallait rétablir l’équilibre. On fit donc figurer les satyres, demi-dieux tenant de la bête, excellens pour exprimer les tendances animales de la nature grossière. La scène n’offrait plus, comme pour la tragédie, des temples, des autels, des palais, grands symboles de la religion, de la loi, des parties hautes de l’humanité : elle représentait les bois, les montagnes, les vallées inconnues, afin que tout respirât la nature brute. Là le poète amenait les dieux : les demi-dieux ; ceux-ci se débattaient ridiculement contre les tracasseries des satyres, se mêlaient à leurs jeux, en étaient secourus dans leurs dangers ; mais les satyres étaient intéressans par une certaine niaiserie gracieuse, les dieux jouaient en tout les rôles les plus ignobles ; ils étaient les acteurs obscènes de ce qu’on n’aurait pas souffert dans les personnages humains. S’il se trouvait un homme, un héros dans ces folles pièces, il se montrait plus grand que les dieux, sans doute pour mieux faire saillir le sens de ces parodies : c’est ce qu’on voit dans le Cyclope