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fallait une révolution qui chassât la politique du théâtre : cette révolution eut lieu sous les trente tyrans, et alors l’espace fut ouvert à ce qu’on appelle la comédie moyenne, qui fut un tâtonnement, et à la comédie nouvelle, qui fut pour la Grèce la perfection du genre.


II

Nous arrivons au siècle de Ménandre ; mais auparavant remarquons encore comment la comédie n’est parvenue à ce point qu’en parfait accord avec tous les autres phénomènes de la vie intellectuelle, dont nous ne la séparons jamais. Ce n’est que par degrés que l’esprit humain atteint aux profondes analyses de lui-même ; son observation tombe d’abord sur les phénomènes plus extérieurs et plus frappans qu’il a trouvés devant lui sans les chercher. La synthèse religieuse enveloppée de mythes, tant d’essais de législation si hardis et si féconds, les délibérations dans les assemblées populaires, l’esprit de gouvernement, avaient longtemps maintenu la pensée publique dans l’ordre des idées générales, qui sont d’ailleurs la force et la gloire d’une civilisation. Platon et Aristote avaient d’abord occupé leur génie de toutes ces grandes choses qui étaient encore autour d’eux, et qui allaient disparaître avec eux ; mais ils avaient laissé dans la science nombre d’idées nouvelles, des ébauches, des indications ; ils avaient laissé la langue, instrument de la pensée, plus riche, plus subtile, plus analytique, grâce à des mots nouveaux ou à des nuances nouvelles données aux mots anciens. Il y avait dans les esprits comme une foule de lueurs errantes qui les sollicitaient à chercher d’autres lumières sur tous les objets. Les plus sages de leurs successeurs, suivant cette pente, abandonnèrent donc les grandes théories métaphysiques et politiques, et limitèrent la philosophie à la recherche du souverain bien, c’est-à-dire à l’ordre moral ; ils cherchèrent le bonheur dans l’emploi raisonnable de nos facultés et dans la direction du libre arbitre. De là des études particulières sur la nature de l’homme ; il fallait décrire ce qui se pusse journellement en nous et entre nous, signaler, par le résultat même et par l’expérience, ce qui est droit et ce qui est dévié, ce qui fait, par la raison, notre vie douce, ou du moins supportable, et ce qui la trouble par notre faute. L’analyse morale était devenue la préoccupation des philosophes et l’aliment des esprits les plus distingués à l’époque où vivait Ménandre, qui se formait au milieu de ces idées. Toutes les autres manifestations de l’intelligence avaient parcouru le même trajet. L’histoire par exemple, mythique à son origine, — puis, avec Hérodote, quoique encore épique dans la forme et un peu crédule, libre cependant, curieuse de faits, sincère et infatigable