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femmes pour se tenir à ses côtés, « car j’aurais honte, dit-elle, de paraître seule au milieu des hommes. » Elle descend de son appartement splendide, » non seule, répète encore le poète, mais deux de ses servantes l’accompagnaient. » Arrivée à la salle des amans, elle reste sur le seuil, et tire son beau voile devant son visage ; les deux femmes se placent aux côtés de leur maîtresse. C’est toujours avec cette grandeur et cette dignité que la femme se montre dans ces temps primitifs. Elle avait besoin de cet éloignement mystérieux qui impose à la brutalité ; quelque chose de religieux s’attachait à sa réserve et à son isolement même : c’était sa première défense contre les dangers qui l’entouraient dans un temps de guerres et de pirateries, où l’enlèvement des femmes était souvent l’origine ou le but des expéditions lointaines. Dans son intérieur, la femme était l’économe de la maison : elle distribuait le travail à ses servantes ; l’épouse du héros filait ou tissait. Il y avait dans les grandes maisons des chambres destinées à la fabrication de la toile et aux apprêts de la laine. Andromaque nourrissait les chevaux d’Hector, et le poète ajoute naïvement qu’elle les servait avant leur maître. Qui n’a lu vingt fois le délicieux épisode de Nausicaa, cette jeune fille en qui s’éveille pour la première fois la pensée d’un époux que le roi son père lui choisira bientôt, et qui, excitée par cette vague perspective à se montrer soigneuse et vigilante, s’en va, dès l’aube du jour, avec ses femmes, laver tout le linge de la famille au bord du fleuve ? Ces tableaux d’Homère, comme ceux de la Bible, sont la seule définition qu’on puisse donner de la condition de la femme aux siècles héroïques ; elle résultait des dispositions de la nature combinées avec les précautions et les nécessités de l’état social ; elle n’avait donc rien de factice, et point d’autre rigueur que celle qui pouvait naître de circonstances particulières.

Quand les cités se furent rassises, un autre genre de vie à l’extérieur et des dangers d’une autre nature vinrent modifier cette situation au désavantage des femmes. Les villes plus peuplées et enrichies se corrompirent promptement : la liberté des mœurs, les occasions journalières et l’absence d’un moyen d’éducation sûre et solide pour la femme, les mirent dans une situation plus périlleuse même que dans les temps les plus anarchiques et les plus violens. Dans les cités les plus florissantes, la vie retirée des femmes devint une clôture, non absolue ni légale, mais amenée et mesurée par les exigences domestiques. Les lois même semblèrent la favoriser jusqu’à un certain point ; Solon imposa des conditions aux sorties des femmes par la ville : elles ne purent sortir la nuit que précédées de flambeaux et en char ; plus tard, elles ne purent paraître que vêtues d’une certaine manière ; il y eut des magistrats pour veiller à leur