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La statue de Balder nous offre la mansuétude et l’abnégation sous un aspect que j’appellerai volontiers l’aspect évangélique. Le dieu Scandinave découvre sa poitrine et semble dire à ses ennemis : « Frappez, je vous pardonne d’avance. Que mon sang coule, que vos flèches déchirent ma poitrine, je ne me plaindrai pas. » Il est impossible de contempler cette figure sans songer à la charité chrétienne. C’est un fait que je constate sans vouloir reprocher à l’auteur la vivacité du souvenir qu’il évêque. Étant donné l’idée qu’il avait à exprimer, il ne pouvait éviter ce danger, si toutefois c’est un danger. Comme le dévouement et l’abnégation ne se révèlent nulle part sous une forme plus éloquente et plus persuasive que dans la tradition chrétienne, je ne m’étonne pas que Fogelberg, en créant le type de Balder, rappelle à notre pensée les scènes les plus touchantes de l’Évangile. D’ailleurs il n’y a rien, ni dans le visage, ni dans le torse du dieu scandinave, qui accuse l’imitation.

Pour apprécier le talent de l’auteur, pour en mesurer l’étendue, il convient de comparer Thor et Balde. La première de ces deux figures est d’une expression sauvage, et toutes les parties du corps sont en harmonie avec le regard du dieu. La seconde exprime la mansuétude, et c’est merveille de voir comme le geste et la forme du corps concourent à la révélation de la pensée. L’auteur ne s’en est pas tenu à l’accent du visage, il a voulu trouver des auxiliaires dans toutes les parties du modèle. Ce n’est pas, comme pourraient le croire les esprits frivoles, un raffinement puéril, mais un trait de sagacité. Le torse et les membres d’un personnage qui médite et ne vit que par la pensée ne doivent pas ressembler au torse et aux membres d’un personnage guerrier ; eh bien ! que l’on compare la poitrine de Balder à la poitrine de Thor, et l’on verra quel parti l’auteur a su tirer de cette distinction. La manière dont la draperie est disposée sur les hanches et sur les bras de Balder montre clairement qu’il vient de découvrir sa poitrine. Quant aux plans musculaires, ils ne révèlent pas avec moins d’évidence les habitudes du personnage ; il est impossible de le prendre pour un athlète, pour un guerrier. J’insiste sur ce point, et ne crois pas jeter au vent des paroles inutiles, car les conditions que je viens d’énoncer, et dont l’importance n’a pas besoin d’être démontrés, sont trop souvent méconnues par les statuaires de notre temps, qui ne comprennent pas la nécessité de mettre le corps en harmonie avec le visage. Les statues de Thor et de Balder réalisent pleinement ce vœu de la raison ; c’est pourquoi je les indique avec confiance comme un utile enseignement Fogelberg ne faisait rien à l’étourdie ; il ne donnait pas un coup d’ébauchoir, un coup de ciseau, sans savoir pourquoi il le donnait. Aussi, quand il créa les types de Thor et de Balder, il ne livra rien au hasard ; le visage étant trouvé,