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Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 10.djvu/1294

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cœurs intrépides, conçut la pensée de livrer bataille à l’ennemi sur son propre terrain et d’organiser une mission intérieure.

Au mois de septembre 1848, cinq cents serviteurs dévoues de l’église évangélique, pasteurs, théologiens, magistrats, notables de toute profession et de tout rang, se réunissaient à Wittenberg et décidaient que la première tâche de cette église était d’accomplir une mission au sein de l’Allemagne. On comprend assez dans quel sentiment ils avaient fait choix de la ville de Wittenberg. C’est là qu’un audacieux esprit avait commencé, trois siècles plus tôt, ce que leur foi appelle encore une restauration de l’église chrétienne ; c’est de là, et ce souvenir s’évoquait de lui-même à la veille d’une telle lutte, c’est de là qu’un grand signal avait été jeté au monde par un des héros de la vie religieuse. On autre motif encore, mais on se gardait bien d’en convenir, avait inspiré les chefs. On allait faire d’importans emprunts au catholicisme, on s’apprêtait à imiter nos grandes institutions apostoliques, on voulait stimuler le zèle de la charité, créer des foyers de bonnes œuvres, enrichir la religion de Luther de tout ce qu’avaient proscrit les passions d’un autre âge, et lui donner, s’il est possible, des sœurs de Saint-Vincent de Paul : que de précautions à prendre avant de tenter des innovations si hardies ! C’était déjà un sacrifice méritoire, pour les esprits sérieux, d’avouer publiquement la détresse du protestantisme et la stérilité de ses ressources ; ne fallait-il pas prendre garde d’alarmer les consciences, d’irriter les rancunes, de fournir des armes à l’ennemi ? C’est ainsi que ce mouvement de réforme intérieure, afin qu’on ne l’accusât pas d’être un retour aux traditions catholiques, devait être proclamé sur la place même où le fougueux moine augustin harangua les hommes du XVIe siècle. Qu’importe cette tactique de parti ? Tous les esprits, déjà nombreux je crois, qui rejettent les passions de sectaire et qui appellent en dehors et au-dessus des intérêts d’église le réveil du sentiment évangélique, salueront cette réunion de Wittenberg comme un heureux symptôme de concorde spirituelle et de féconde émulation dans le bien.

On se mit résolument à l’œuvre, et la Mission intérieure fut constituée. Le président de l’assemblée, le promoteur et le véritable chef de la réforme, M. le docteur Wichern, résuma les actes et les vœux de ses collaborateurs dans une éloquente Adresse à la nation allemande. Ce que M. Wichern appelait la Mission intérieure, c’était l’ensemble des institutions établies dans l’église protestante pour favoriser le développement de la vie religieuse. Ne croyez pas que ce fût seulement une œuvre de charité et de secours matériels ; non. La nouvelle Mission intérieure (il y en a eu d’autres à des époques différentes, dit très bien M. Wichern, et l’histoire d’une église digne de ce nom n’est qu’une continuelle mission intérieure), la nouvelle