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puissent être répartis d’une manière égale, et sans acception d’aptitudes ni d’efforts, entre les membres qui composent la communauté ? Là-dessus, les communistes de bonne foi n’ont voulu laisser d’illusion à personne, et M. John Stuart Mill, qui les a lus, devrait être guéri de celles qui paraissent lui rester. Tous ils ont pris la dictature pour point de départ, déclarant qu’ils étaient résolus à faire pénétrer de vive force dans des sociétés rebelles les institutions de leur choix, et à se passer de leur consentement pour les rendre indéfiniment heureuses. Or, devant un programme si net, comment parler encore de liberté et de spontanéité ?

Cette connivence avec de tristes systèmes et de mauvais écrits n’est pas la seule que l’on rencontre dans l’ouvrage de M. John Stuart Mill. Sur d’autres points encore, son jugement est en défaut, et c’est toujours sur des questions d’origine française. Deux de ces questions surtout nous touchent de près, et nous croyons devoir saisir cette occasion de montrer quelle fâcheuse influence les préoccupations locales et l’ignorance des intérêts étrangers à l’Angleterre peuvent exercer sur les spéculations d’un économiste anglais.


II. — IDÉES DE M. MILL SUR L’ASSOCIATION.

Dans son chapitre sur l’association et le principe d’association, M. John Stuart Mill, après avoir envisagé à un point de vue tout personnel les conditions actuelles du travail et les perfectionnemens dont il est susceptible, en vient à la conclusion suivante : « À moins que le despotisme militaire qui triomphe sur le continent ne réussisse dans ses desseins criminels contre les progrès de l’esprit humain, il est certain que l’état de salarié ne sera bientôt plus que celui des ouvriers que leur abaissement moral rendra indignes de l’indépendance, et que les rapports de patron à ouvrier seront remplacés par l’association sous une ou deux formes : associations temporaires en certains cas des ouvriers avec l’entrepreneur ; dans d’autres cas et à la fin dans tous, association des ouvriers entre eux. »

Évidemment le despotisme militaire n’a que faire ici et ne saurait être considéré que comme une figure de rhétorique. L’association appliquée aux ouvriers et la métamorphose que prévoit M. John Stuart Mill avec plus d’imagination que de raison sont des questions entièrement indépendantes de la constitution d’un pays et du régime qui y prévaut. Cette boutade écartée, que reste-t-il ? Une formule littéralement empruntée aux écoles socialistes, et qui rappelle nos plus mauvais jours. Chacun peut comparer ; le souvenir est d’hier. Que disaient les chefs de secte ? que voyaient-ils dans le salaire ? L’abaissement moral de l’ouvrier. M. John Stuart Mill ne