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ne seraient point à Kertch ; nos vaisseaux n’auraient point paru devant Taganrog, et n’auraient pas montré aux populations des côtes de la Mer d’Azof que les forces de l’Occident pouvaient atteindre la Russie jusque dans ses plus inaccessibles asiles. Maintenant, si l’impuissance même de ces négociations rend à la guerre sa liberté, il est certain, d’un autre côté, qu’elle soumet à une singulière épreuve la politique allemande, ou pour mieux dire la politique autrichienne. Il devient assez difficile de préciser le système de conduite que se propose de suivre le cabinet de Vienne et la véritable nature de ses rapports avec ses alliés du 2 décembre. Peut-être du moins n’est-il point impossible de fixer à peu près les termes dans lesquels s’est accomplie la rupture récente des conférences. L’Autriche, on le sait, avait communiqué à l’Angleterre et à la France une proposition qui, à ses yeux, était un moyen de solution touchant la troisième garantie, celle de la limitation de la puissance russe dans la Mer-Noire. Quelque ingénieux que fût ce moyen, les cabinets de Londres et de Paris n’ont pu y souscrire, par ce motif qu’il éludait la question plus qu’il ne la résolvait, et qu’il organisait une guerre inévitable dans un avenir prochain, pour faire cesser une guerre actuelle. Dans la dernière réunion qui a eu lieu à Vienne, les plénipotentiaires de France et d’Angleterre n’ont point cependant absolument repoussé ce que l’Autriche appelait son moyen de solution ; ils l’acceptaient plutôt comme le point de départ d’une discussion possible, parce qu’il se fondait sur le principe précédemment admis de la limitation des forces de la Russie. Or, la question ainsi posée, qu’ont répondu les plénipotentiaires russes ? Encore un coup, ont-ils accepté ce principe invariable ? Nullement, ils l’ont décliné une fois de plus, et c’est ce que le ministre de France a tenu, dit-on, à constater dans le protocole, pour bien marquer la netteté de toutes les situations. Seulement, s’ils n’acceptaient rien, les plénipotentiaires russes, voulant se donner aux yeux du cabinet devienne le mérite d’une certaine condescendance, ont offert de transmettre la proposition autrichienne à Saint-Pétersbourg. Dès lors, ce n’était plus qu’une tactique usée qui avait pour but de gagner du temps en cherchant à séparer, s’il se pouvait, l’Autriche de ses alliés, et il ne restait qu’à réclamer la clôture définitive d’une négociation devenue sans objet : c’est ce qui a eu lieu en effet. Toute cette œuvre diplomatique de trois mois a fini par aboutir à un protocole qui laisse à la guerre le soin de fixer les conditions de la paix entre la Russie et les puissances occidentales, et qui malheureusement ne jette pas un jour très clair sur les dispositions réelles de l’Autriche. Le cabinet de Vienne a été visiblement froissé de l’accueil fait à sa proposition par l’Angleterre et la France ; il croyait avoir découvert la vraie solution des différends qui tiennent l’Europe en armes. C’est pour lui une déception, si l’on veut ; mais cela peut-il changer sa politique dans sa portée générale et essentielle ?

Or quelle est la politique de l’Autriche ? Le moment est décisif sans contredit aujourd’hui sous le coup de la rupture récente des conférences, qui vient mettre en question le sens réel de l’alliance du 2 décembre et sommer en quelque sorte le cabinet de Vienne de faire un choix. La politique de l’Autriche n’est-elle qu’un système de temporisation savante et habile, calculé pour obtenir les avantages de la guerre sans en courir les chances,