Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 10.djvu/1327

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

times. Le cabinet de Vienne ne se départira point des quatre garanties, il ne cesse point d’y voir la base essentielle de la pacification de l’Europe ; soit. Mais qu’on nous permette une hypothèse, la plus désespérée à coup sûr : si la France et l’Angleterre étaient vaincues dans la lutte qu’elles ont entreprise, l’Autriche ferait-elle la guerre alors pour arracher à la Russie les concessions que le tsar ne veut point faire jusqu’à présent ? Et si elle ne la faisait point, comme cela est probable, comme cela est certain, quelle est la valeur de cette sanction inerte donnée aux garanties sur lesquelles repose l’alliance du 2 décembre ? Faisons une autre supposition : si le cours naturel de la guerre amenait l’Angleterre et la France à exiger de la Russie des concessions nouvelles proportionnées aux sacrifices qui auront été accomplis, à quel titre l’Autriche interviendrait-elle dans ces arrangemens nouveaux ? Quel pourrait être le poids de ses conseils ? Le cabinet de Vienne ne saurait se faire longtemps illusion sur la possibilité de prolonger cette expectative indécise, qui en définitive ne fait que fournir des armes à la résistance de la Russie, et qui ne serait plus bientôt qu’une neutralité déguisée. L’Autriche, parce système d’atermoiemens indéfinis, justifierait d’une façon trop évidente les soupçons de ceux qui ont cru et qui ont dit qu’elle n’agirait jamais, qu’il n’y avait rien de sérieux dans l’alliance contractée par elle le 2 décembre. En France, on a cru à la sincérité, à l’efficacité de cette alliance, dans laquelle on a vu un gage d’ordre européen en même temps qu’un moyen d’action assuré contre la Russie. En Angleterre, on y a cru beaucoup moins, et c’est ce qui explique le langage assez dédaigneux tenu par lord John Russell, si l’on s’en souvient, au moment où cet acte s’accomplit. Lord John Russell ne parlait point en vérité aussi légèrement qu’on put le croire alors ; il ne faisait que dévoiler le fond de la pensée du gouvernement anglais, qui n’attachait qu’un prix médiocre au traité du 2 décembre. Le cabinet de Londres a toujours beaucoup moins compté que la France sur le concours de l’Autriche à un instant donné ; peut-être même, en y croyant trop peu, l’a-t-il rendu plus difficile. Maintenant est-ce à la France, est-ce à l’Angleterre que l’Autriche donner à raison ? Elle réfléchira sans doute avant de se retirer d’une des plus grandes affaires de ce siècle et du monde ; elle ne voudra point reculer devant la responsabilité d’une action directe, et ce sera donner raison à tous ses intérêts de grande puissance aussi bien qu’à l’intérêt général de l’Europe.

L’Autriche ne fera en cela que ce que font la France et l’Angleterre. La guerre n’est point pour ces deux puissances un caprice d’ambition ou un entraînement irréfléchi ; c’est une obligation à laquelle elles dévouent leurs forces sans calculer leurs sacrifices. Tout ce qu’a pu faire la France pour assurer l’ascendant de nos armées, pour gagner des alliances à la cause européenne, elle l’a fait ; c’est un devoir pour l’Angleterre d’agir de son côté. Tandis que nos soldats poursuivent leurs succès en Crimée, la flotte anglaise est dans la Baltique avec une escadre française, et ces forces accompliront sans doute quelque acte décisif. Il n’est point à présumer que les vaisseaux alliés soient dans le golfe de Finlande pour surveiller seulement les côtes de la Russie et maintenir un simple blocus. Et ce n’est pas sous ce rapport seul que l’Angleterre peut travailler au succès de l’œuvre commune ; c’est en