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tient à bon droit la première place parmi ses camarades. Son port de reine, la noblesse et la régularité de ses traits un peu amaigris, les cordes graves de sa voix semblaient l’appeler à jouer la tragédie ; la gracieuse mobilité de sa physionomie, la finesse de son sourire, l’éclat tour à tour brillant et voilé de ses yeux, une vivacité toute méridionale, la conviaient à ne point abandonner la muse comique. Élève de prédilection de la célèbre Carlotta Marchionni, Mme Ristori règne depuis près de dix ans sur les principales scènes d’Italie, et l’habitude du succès ne l’a pas enivrée. Elle n’a pas cru qu’il lui fût permis de se livrer à tous ses caprices, de se faire un jeu de tous ses engagemens, elle est restée simple, modeste, docile aux bons conseils. Elle y a gagné, sans rien perdre de ses dons naturels, une expérience à laquelle il ne manque aujourd’hui qu’un peu plus de réflexion et d’étude pour la féconder.

Dans Françoise de Rimini, où elle a débuté, Mme Ristori nous avait fait craindre un moment qu’elle ne fût qu’une belle personne qui s’habille mal et qui récite bien ; mais dans la scène d’amour elle a fait éclater tant de passion, au cinquième acte elle a su mourir avec tant de pathétique et de chasteté, qu’il a fallu dès lors reconnaître en elle une artiste de premier ordre, fût-elle incapable d’exprimer autre chose que les sentimens tendres. Depuis, nous avons vu dans Mirra avec quelle facilité Mme Ristori passe de la douceur à la violence, de l’énergie à la grâce, et comment alors tout se transforme en elle, la voix comme les traits, la physionomie comme les attitudes. Il faut la voir, dans cette saisissante scène du mariage, prosternée d’abord et recueillie, puis perdant peu à peu conscience d’elle-même, Deus, ecce Deus ! Quand, après une convulsion terrible, elle se retourne les yeux hagards, la bouche ouverte et tirée, les traits bouleversés, le corps en arrière, un profond sentiment d’effroi s’empare de la salle, on croit à Vénus et à sa vengeance, on tremble, on prierait presque pour son infortunée victime. Puis comme on pleure sur elle lorsque, rendue à la raison, elle courbe la tête, plus douce et plus soumise que jamais, aux amers reproches de son père ; lorsqu’elle retient sur ses lèvres l’aveu fatal qu’il fait tout pour lui arracher ; lorsqu’elle meurt enfin pour l’avoir laissé échapper, et que, du sein de la mort, elle se relève encore pour conjurer Cyniras, par un geste éloquent comme la plus fervente des prières, de taire son crime à Cécris ! Pourquoi donc Mme Ristori croit-elle devoir compléter ce demi-aveu : Heureuse ma mère !… elle pourra du moins mourir à tes côtés ! en tournant vers Cyniras son visage soudainement éclairé de tous les feux de l’amour ? Le public applaudit au commentaire, mais je crois que le poète pouvait s’en passer, et quand même Mme Pellandi, qui avait joué ce rôle sous les yeux d’Alfieri, et Mme Internari, qui a reçu d’elle la tradition et l’a transmise à Mme Ristori, auraient joué comme cette dernière, je n’en persisterais pas moins à croire que c’est une faute qu’un goût sévère ne saurait excuser. Si Myrrha est à ce point hors d’elle-même qu’elle ne puisse contenir cet élan voluptueux, elle doit du moins se posséder assez pour le cacher à son père. Il ne faut pas l’oublier, le seul moyen de faire accepter Myrrha au théâtre, c’est qu’elle reste chaste, du moins vis-à-vis de Cyniras, jusque dans son aveu.

Dans l’Oreste d’Alfieri, Mme Ristori se montre très belle sous ses voiles noirs, et surtout très antique ; malheureusement le personnage d’Électre est