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M. Rossi mûrisse son talent par l’étude, qu’il s’efforce de mettre plus de variété dans sa diction ; enfin qu’il oublie un peu les traditions de son maître, Gustave Modena, dont on dit qu’il reproduit surtout les défauts. Cette fidélité de disciple, bonne au début, ne peut plus aujourd’hui que lui nuire. Qu’il crée, au lieu de se souvenir, c’est le plus sûr moyen de prendre ; dans l’art dramatique, la place que Modena a laissée vacante.

M. Gattinelli a su depuis longtemps prendre celle du célèbre Vestri, en jouant ce qu’on appelle au théâtre les rôles de caractère. Le talent de M. Gattinelli est le fruit de l’étude et de la réflexion, Donner à chacun des personnages qu’il représente la physionomie morale qui lui couvienl, ici est le grand art de cet artiste. Je dis à dessein la physionomie morale, car les traits de M. Gattinelli sont trop accentués pour qu’il lui soit possible de les transformer à sa volonté ; mais il sait tour à tour être simple et digne, sérieux et plaisant, ému et ridicule. Il n’a pas besoin de se battre les flancs ou de multiplier les grimaces pour faire rire : l’hilarité naît naturellement d’un mot prononcé avec l’inflexion convenable, d’un geste fait à propos. Cependant, si M. Gattinelli a le rare mérite de ne jamais tomber dans la charge, il ne se garantit pas toujours de l’excès contraire, et il y a, dans tel de ses rôles, des intentions comiques qu’il n’accuse pas suffisamment, il est lent à s’échauffer, ou plutôt il se contient trop au début, en vue de la gradation et des grandes scènes ; il y a là un juste milieu à prendre, et M. Gattinelli, habitué à réfléchir, le trouvera certainement.

Quelques autres acteurs de la compagnie tiennent honorablement leur emploi. Nous nommerons M. Bellotti-Bon, chez qui une certaine raideur n’exclut pas de vraies qualités comiques, et dont le talent, très sympathique au public, serait mieux goûté encore, s’il ne jouait presque exclusivement dans le répertoire moderne ; Mme Righetti, excellente duègne, qui dans Mirra²fait d’un rôle de confidente un rôle important : Mme Mancini, piquante soubrette, qui dit avec esprit et joue avec une bonne humeur communicative. Il ne faudrait pourtant pas juger de l’ensemble des artistes qui se font applaudir sur les scènes italiennes par ceux qu’a réunis la compagnie sarde. Il y avait au-delà des Alpes les élémens d’une troupe incomparable : si aux artistes que nous sommes heureux d’avoir entendus étaient venus se joindre Modena, Salvini, Alberti, Mmes Sadoski, Santoni et quelques autres, quel succès pour eux, et pour nous quelles jouissances ! Mais il eût fallu, comme dans l’Imprésario de Smyrne, de Goldoni, un comte Lasca pour apaiser les rivalités, et réunir les premiers talens dans un Théâtre-Italien digne émule de notre Théâtre-Français. L’Italie attend encore une institution dramatique digne de ses poètes. Des prétentions contradictoires, des habitudes municipales, ont empêché jusqu’à ce jour les meilleurs artistes de se réunir dans un centre unique d’où jaillirait la lumière ; le public, en exigeant que le répertoire se renouvelle sans cesse, et qu’un ouvrage ne paraisse ; à la scène que trois ou quatre fois, rend impossibles les patientes études que demande la composition d’un rôle et qui mûrissent le talent ; les gouvernemens enfin, par une blâmable indifférence, loin d’accorder des subventions nécessaires, ne donnent qu’à loyer les salles de spectacle, et ne créent aucun de ces établissemens où le présent prépare l’avenir. Il y a lieu de croire que le gouvernement sarde, qui marche à la tête de la civilisation italienne, encouragé par le