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chose que de l’argent ou du plaisir, sont enclins à commettre les bévues et les fautes de goût les plus impardonnables. Qu’ils se fassent bâtir une villa, qu’ils achètent une bibliothèque, qu’ils composent une galerie de tableaux, qu’ils commandent leur portrait, ils trouveront moyen de se couvrir de ridicule. Cette observation noue frappa un jour que nous parcourions la collection de portraits du chevalier Lely, où se trouvent conservées les physionomies des beautés célèbres de la cour de Charles M, comtesses en robes de velours, duchesses chargées de dentelles, dames d’honneur vêtues selon toutes les lois de l’étiquette des cours, toutes très simples malgré la richesse de leurs vêtemens, leur haut titre et leur position exceptionnelle. Au milieu de cette assemblée charmante figurent deux courtisanes célèbres, Nell Gwynn et la duchesse de Cléveland. Toutes deux sont fort belles et valent leur réputation, mais toutes deux ont réussi à se faire peindre dans une attitude ridicule, — Nell Gwynn un mouton sous le bras, et la duchesse de Cléveland le casque en tête et la pique en main, comme la sage Minerve elle-même, la sérieuse et austère déesse. Beaucoup de millionnaires de la façon de notre héros ressemblent en cela à ces deux malheureuses jolies femmes. Le lecteur tirera de cette observation la conclusion qui lui plaira. Revenons à M. Barnum.

M. Barnum nous a raconté en détail son enfance et sa première jeunesse; nous ne nous en plaignons pas. Si plus tard quelque historien des mœurs du XIXe siècle fouille dans ce récit, les cinquante premières pages seront peut-être celles qui lui seront le plus profitables; elles ouvrent certains jours sur la nature humaine plébéienne. Dansées pages, M. Barnum raconte les bonnes plaisanteries que ses voisins se faisaient entre eux, les ruses de son grand-père, les farces en un mot de la population rustique au milieu de laquelle il a grandi. Ceux qui savent que la nature humaine est toujours identique à elle-même dans tous les temps et sous toutes les latitudes ne seront pas étonnés d’apprendre que les anecdotes de M. Barnum ont un air singulier de parenté avec certaines histoires des fabliaux et des livres populaires de la fin du moyen âge. Tout y est, le gros sel de la plaisanterie, l’équivoque, la fourberie malicieuse, le mot à double sens, le rire bruyant. Tous les signes d’intelligence de la franc-maçonnerie populaire sont là reconnaissables, — le bon mot enveloppé, dit en face de l’honnête dupe dont on va rire, et l’allusion lointaine au bon tour qu’on va jouer, l’œil qui cligne malicieusement et donne avis, la bouche qui grimace dans l’attente d’une joie prochaine, la tête qui remue significativement. Dans ces anecdotes de la vie rustique, vous retrouvez toujours l’esprit qui anima jadis Till Eulenspiegel, et qui donna naissance aux innombrables histoires