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du succès, il nous faut de la notoriété. Cette histoire va courir la ville, et ce soir notre baraque sera pleine. — M. Hawley, qui mentait avec un si imperturbable aplomb et débitait aux fermiers de l’ouest de si extravagantes histoires, mériterait bien aussi une mention spéciale, ainsi que l’ingénieux Vivalla, qui n’avait pas son pareil pour faire tenir en équilibre un ou plusieurs fusils de munition appuyés sur le bout du nez par la pointe de la baïonnette. Cependant, malgré la réunion de tous ces talens, la troupe de M. Barnum ne fit point des recettes bien considérables, et son directeur retourna à New-York, bien résolu à chercher fortune par un autre moyen. Sa première entreprise ne fut pas non plus fort heureuse; il s’associa avec un Allemand nommé Proler, qui tenait un commerce de parfumerie, et qui s’enfuit en Europe en laissant ses dettes à la charge de son associé, et différentes recettes pour la fabrication du cirage, de l’eau de Cologne, de la graisse d’ours et des cuirs à rasoirs. M. Barnum tomba alors dans cet état voisin de la détresse dont il parle si mélancoliquement; mais il n’était pas homme à se laisser abattre par l’adversité, et sa fortune date du jour de sa ruine momentanée.

Le problème qui se présentait à lui est un des plus difficiles qui puissent être posés à un homme. Comment réaliser une fortune rapidement, sans un sou vaillant? Bâtir lentement une fortune en partant de rien est déjà fort difficile, car, ainsi que le remarquait judicieusement l’excentrique Mercier, « s’il est possible de faire un million avec dix mille francs, il est impossible de faire six francs avec deux sous. » À ce moment, la collection de curiosités connue sous le nom d’American Museum était à vendre. Il y a là une fortune, pensa M. Barnum ; j’achèterai l’American Museum. — Et avec quoi? lui demanda un ami à qui il faisait part de ses intentions. — Avec du cuivre, répondit M. Barnum, car je n’ai ni or ni argent. — Cette affaire de l’American Museum est la plus grave de toutes les plaisanteries que raconte M. Barnum. Joice Heth, la; sirène et Tom Pouce sont à tout prendre des charges amusantes, le contrat avec Jenny Lind est une spéculation avouable; mais que dire de cette affaire de l’American Museum ! M. Barnum alla trouver un capitaliste, marchand retiré, M. Francis Olmsted, et lui fit part de son projet en lui demandant les fonds nécessaires pour l’acquisition du musée. M. Olmsted, au bout de quelques jours, après avoir pris ses informations, consentit à acheter la propriété convoitée par M. Barnum, et stipula les conditions de remboursement. Seulement il voulait des garanties. « Si vous aviez, dit-il à M. Barnum, quelque propriété non hypothéquée, l’affaire serait immédiatement conclue. » M. Barnum n’en avait pas; la fortune rêvée allait donc lui échapper. « J’ai dans le Connecticut cinq acres de terre sur lesquels ne pèse aucune