Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 10.djvu/191

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

hypothèque, » répondit M. Barnum. Or, cette propriété était tout simplement un lopin de terre marécageuse, couverte de broussailles, remplie de serpens, et qui n’avait aucune valeur. M. Olmsted consentit à conclure le marché, et la propriété de l’American Museum était déjà livrée à M. Barnum moyennant 12,000 dollars, lorsque, au moment de conclure les derniers arrangemens, l’administrateur du Museum déclara qu’il venait de le vendre 15,000 dollars, dont 1,000 payés d’avance, et les 14,000 restant payables au 26 décembre suivant. M. Barnum ne se laissa pas déconcerter par ce coup inattendu. « Vous engagez-vous, dit-il à M. Heath, à me livrer le Museum pour 12,000 dollars le 27 décembre, si les acquéreurs ne vous ont pas payé le 26 les 14,000 dollars promis? » Aussitôt qu’il eut arraché cette promesse, M. Barnum se mit à l’œuvre, et mina, par une foule de petites manœuvres souterraines, la spéculation de ses rivaux. Une de ces manœuvres consistait à les couvrir de ridicule et à les cribler d’épigrammes dans un journal rédigé par quelques-uns de ses amis. Il réussit : le 26, les 14,000 dollars ne furent pas payés, et le 27, M. Barnum devint le propriétaire triomphant de l’American Museum. Nous ne perdrons pas notre temps à relever tout ce qu’il y a de scandaleux dans cette manière d’agir : après tout, ces manœuvres et ces habiletés seront peut-être regardées par beaucoup de gens comme de bonne guerre. Ces choses-là paraissent, toutes simples au-delà de l’Atlantique. Cette habileté a valu à M. Barnum sa grande renommée; ses compatriotes sont fiers de lui, voilà qui répond à tout. Un jour un homme prend un billet d’entrée à l’American Museum, et demande si M. Barnum se trouve dans l’établissement. « Voici M. Barnum, répond l’employé en désignant le grand homme, qui se trouvait là par hasard. — Ah! c’est M. Barnum. » Le badaud s’arrête un moment, contemple la face auguste du prince de l’humbug, puis, jetant son billet : « C’est bien, dit-il, j’ai gagné mon argent. » Et il s’en retourne sans visiter le muséum.

Cet établissement, comme on peut le croire, prospéra entre les mains de M. Barnum. Dans les trois années qui suivirent l’achat du Musée américain, les recettes s’élevèrent à plus de 100,000 dollars, tandis que dans les trois années précédentes elles ne s’étaient élevées qu’à 33,000 dollars. Il faut dire que M. Barnum ne négligeait rien pour piquer la curiosité. Il exposa un panorama représentant la chute du Niagara avec de l’eau réelle s’il vous plaît, et montra à tous les amateurs de curiosités naturelles la fameuse sirène. Il nous a gratifiés, dans son livre, d’un portrait de cette célèbre monstruosité. Les Yankees cultivés, qui se rappelaient les descriptions grecques des sirènes et les poésies romantiques des Allemands sur les