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seraient célébrés dans Héraclée. Lui-même, voulant rendre au kha-kan tous les honneurs dus à un roi ami, alla attendre à Sélymbrie, quelques milles en-deçà de la longue muraille, la nouvelle de son approche, pour se porter à sa rencontre entre cette ville et Héraclée. Peu de soldats l’accompagnaient dans ce voyage, qui promettait d’être tout pacifique ; mais le cortège abondait en hauts personnages et fonctionnaires de tous grades vêtus de leur costume officiel. À la queue marchaient des voitures pleines de riches présens destinés aux chefs avars, puis l’attirail complet d’un théâtre, ainsi que les chars, les chevaux, les cochers de l’hippodrome, qui voyageaient parmi les bagages sous la protection de l’escorte. Pendant trois jours que l’empereur demeura à Sélymbrie, les routes furent incessamment couvertes de curieux accourus de tous côtés, mais surtout de Constantinople, pour assister aux réjouissances. « C’était, nous dit un vieux récit, une foule innombrable, compacte, mélangée de toute sorte de gens : le clerc y coudoyait le laïque, l’ouvrier le magistrat, et le campagnard y cheminait à côté du citadin. » Il n’y eut pas jusqu’aux factions du cirque qui ne tinssent à honneur de venir représenter devant les hôtes sauvages d’Héraclée leur rivalité turbulente comme le couronnement obligé de tout divertissement romain.

Le kha-kan s’était mis en marche de son côté avec des histrions et des cochers du cirque, mais avec de braves soldats, l’élite de son armée, car il méditait la trahison la plus noire dont on eût jamais entendu parler dans les annales des nations ; il n’avait même proposé la ville d’Héraclée que pour la commodité de son projet. Déjà, depuis qu’il était question de la conférence, il avait fait filer sur le territoire romain, en petits détachemens et par des routes différentes, une troupe beaucoup plus nombreuse que celle qu’il emmenait à sa suite, lui recommandant de traverser de préférence les cantons déserts ou peu fréquentés, et de se rallier dans la chaîne de collines boisées qui couvrait la longue muraille à l’occident, et se prolongeait entre Héraclée et Sélymbrie. Malheureusement les cantons déserts n’étaient pas rares dans la Haute-Mésie et la Thrace, si cruellement dévastées par la guerre ; on pouvait parcourir de grandes étendues de pays presque sans être aperçu, et d’ailleurs dans la circonstance présente, quand les populations romaines encombraient les chemins pour arriver à Héraclée, des détachemens d’Avars marchant dans la même direction ne pouvaient exciter ni étonnement ni alarme. Ces troupes, qui servaient d’avant-garde au kha-kan, avaient pour mission d’occuper la longue muraille dès que l’empereur l’aurait dépassée, et de lui couper la retraite sur Constantinople, tandis que l’escorte du kha-kan l’attaquerait de front, le ferait prisonnier et s’emparerait de ses bagages. Une fois l’empereur enlevé et le