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toujours disposés à piller, ennemis naturels de la Perse, dont ils étaient les proches voisins. C’était assurément le plus hardi projet qu’eut imaginé aucun des généraux de Rome et de Byzance pendant leurs guerres de sept cents ans contre le grand-roi, et nul d’entre eux peut-être n’aurait possédé au même degré que celui-ci les conditions nécessaires du succès, savoir : la foi en son œuvre, l’esprit de ressource et d’aventure, et le parti désespéré de mourir ou de vaincre. Les premiers mois qui suivirent le débarquement de l’armée romaine en Colchide furent employés utilement à l’acclimater, à l’exercer, à lui donner l’unité qui lui manquait, à lui inspirer enfin l’esprit d’exaltation religieuse où son chef puisait confiance en lui-même et autorité sur les autres. L’enrôlement des tribus du Caucase, opéré pendant ce temps-là, vint doubler la force numérique des légions. Aux approches de l’hiver, Héraclius entra dans l’Arménie, qui se déclara tout entière pour lui : sûr alors de sa retraite, il descendit dans l’Atropatène (l’Aderbaïdjan des modernes), dont les habitans, pris au dépourvu, n’essayèrent pas même de résister. On les voyait, disent les historiens, déserter leurs maisons et s’enfuir dans leurs rochers comme des troupeaux de chèvres sauvages. Khosroës, surpris lui-même, répondit à sa manière aux succès de son ennemi, en faisant assommer des ambassadeurs romains qu’il tenait en prison depuis six ans. Une pareille indignité mit l’armée romaine hors d’elle-même, et l’Atropatène fut traitée comme une terre vouée à la destruction. Cette province, patrie de Zoroastre et berceau du culte institué par ce premier des mages, en était toujours le siège le plus vénéré : c’est là que s’élevaient les pyrées les plus magnifiques et les plus nombreux, là que le culte du feu se célébrait avec le plus de pompe et de dévotion. Héraclius ruina les temples, chassa ou massacra les prêtres, et supprima partout le feu perpétuel : le dieu fut éteint dans le sang de ses adorateurs. Ainsi les profanations de Jérusalem furent vengées ; mais la croix n’était plus ni là, ni en Arménie, les Perses, à l’approche des Romains, l’ayant enlevée pour la mettre en sûreté dans les parties centrales de leur empire.

Khosroës enfin accourut défendre le sanctuaire de sa religion, et l’année 623 se passa en combats, toujours gagnés par les Romains : trois armées perses furent défaites, et Khosroës deux fois vaincu prit la fuite. Des froids excessifs, qui faillirent les emporter, forcèrent les Romains à évacuer cette année l’Aderbaïdjan pour aller hiverner sous le climat plus doux de l’Albanie ; mais en 624 la guerre recommença, et se continua en 625 dans les hautes chaînes du Caucase et du Taurus. La manœuvre hardie d’Héraclius avait eu pour effet de dégager les provinces romaines d’Asie en attirant les armées persanes après lui : elles arrivaient toutes successivement, et cherchaient