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SCÈNES DE LA VIE ITALIENNE.

oreilles ornées de grosses boucles d’or, entra en se frottant les yeux.

— Gennariella, lui dit la tante, vous pouvez monter chez mon neveu.

— Enfin ! répondit la nourrice, don Cicillo est rentré ; nous allons dormir. Quel besoin a-t-il de veiller tous les jours plus tard, ce bambin ?

— Silence ! s’écria la mère en faisant des yeux flamboyans. Je vous intime l’ordre de parler de votre jeune patron avec plus de respect, et de supprimer les sobriquets familiers.

— Quels sobriquets ? répéta la nourrice, quel patron ? quel respect ? Le pauvre petit, je l’ai nourri de bon lait, entendez-vous ? d’un lait à élever des mâles, et ce n’est pas ma faute s’il n’a point de barbe au menton. La preuve, c’est que mon fils est barbu comme saint Jupiter. Quant au surnom, ne sait-on pas que, dans notre pays de la terre de Labour, Francesco se dit Ciccio, et que Ciccio devient Cicillo quand il s’agit d’un enfant au-dessous de treize ans, grand âge où l’on se fait homme ? Or il ne les aura jamais, les treize ans. Par Bacchus ! je lui souhaite d’être un Francesco, dût-il porter le cordon et la robe de son avocat dans le ciel.

Pour couper court aux remontrances, Gennariella sortit en haussant les épaules, et monta dans la chambre de son nourrisson. — Il vous sied bien, dit-elle à Francesco, de faire le mauvais sujet et de nous tenir sur pied jusqu’à minuit ! Mettez vos couvertures sur votre nez, car jamais une belle épousée ne viendra réchauffer votre frileuse personne. Dormez, don Cicillo, et demain rentrez de bonne heure.

— Ne te fâche pas, Gennari, répondit le jeune homme d’un ton enfantin ; c’est la comtesse Elena qui m’a retenu chez elle.

— N’allez-vous pas jouer aussi le rôle d’amoureux reprit la nourrice. La belle attrape que ce serait pour votre Elena ! Si vous continuez ainsi, je vous remettrai le bourrelet et les lisières, afin que tout le monde sache bien qui vous êtes.

Parmi les contrastes dont l’lta1ie foisonne, le plus facile à. observer est celui de la laideur et de la beauté. À côté des modèles les plus parfaits que la statuaire puisse souhaiter, on rencontre un petit nombre d’êtres rachitiques ou affligés de difformités bizarres, comme si la nature, ennuyée de toujours bien faire, eût voulu travailler de caprice pour se reposer. Plus elle a dépensé de sève et de richesses en suivant la règle générale, plus elle traité l’exception avec parcimonie. Comme une mère fantasque, elle accable de ses dons les enfans de sa prédilection, et refuse tout aux autres. De là vient que les nains sont plus grotesques, les bossus plus contrefaits en Italie que dans le Nord. Ce n’était pas dans une de ces boutades d’avarice et de mauvaise humeur que la mystérieuse nature avait créé Francesco, mais plutôt dans un moment de négligence. Peut-