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mais elle s’y opposa en disant qu’un garde du corps aussi courageux serait compromettant.

— Et si l’on vous attaque ? reprit le marquis.

— Je me laisserai dévaliser. Il me plairait assez de voir des brigands une fois en ma vie.

— Femme que vous étes ! dit Orazio en soupirant. Je vous souhaiterais volontiers une mauvaise rencontre.

Entre tous les membres de la famille Pizzicoro, il y eut un grand conseil pour décider si l’on devait laisser partir l’enfant chéri. Gennariella elle-même prit part à la délibération. La tante Barbara se prononça énergiquement contre un projet qu’elle appela téméraire et scandaleux. C’était exposer follement la vie et la réputation de Francesco : après une telle équipée, les mères pourraient-elles encore proposer ce jeune homme pour modèle à leurs enfans, et ne serait-il pas à l’avenir considéré comme un séducteur sans principes ? Fallait-il perdre en un jour le fruit d’une éducation admirable, de soins tendres et constans ? La pauvre zia’s’éleva jusqu’au pathétique, et la larme lui vint à l’œil lorsqu’elle parla de ses tourmens, de son inquiétude et de ses boissons chaudes ; mais dame Susanna ne voyait que la gloire et les succès de son Francesco. Quel plus beau tribut l’enfant pouvait-il payer à l’ardeur du jeune âge que de se laisser enlever publiquement, en plein jour, par une grande dame éperdument amoureuse de lui ? Quelle mère n’envierait un pareil honneur et ne le souhaiterait à son fils ? Voyager en poste, en équipage de prince, côte à côte avec une belle imprudente, pouvait-on refuser une telle bonne fortune ? C’eût été se vouer au mépris du monde, manquer à tous les devoirs de la galanterie et se rendre indigne des faveurs du destin. Les passions, il est vrai, offraient bien des écueils ; mais la prudence devait céder le pas à un amour fondé sur l’estime, et qui pourtant se manifestait avec tant de violence. Dame Susanna, dans un transport d’enthousiasme, s’échauffa jusqu’à dire que le danger faisait la gloire, et qu’elle aimerait mieux exposer son fils à toute sorte d’aventures périlleuses que de lui conseiller une lâcheté. Elle ajouta aussitôt après que s’il revenait un jour abandonné, triste et malheureux, elle lui gardait assez de tendresse pour espérer de le consoler.

Gennariella, interrogée à son tour, exprima son opinion dans son style : — Par Bacchus ! dit-elle, que de grands mots ! Calmez-vous, mes bonnes dames, je vous jure bien qu’il n’y a pas matière à faire des phrases d’une aune. Selon toute apparence, elle n’est point sotte, la belle Elena : elle a tout simplement besoin d’un cavalier pour lui donner le bras en voyage, pour payer les aubergistes, gronder les domestiques, commander les repas et porter le châle et l’ombrelle. Elle ne mènera don Cicillo ni en paradis ni en enfer, et quand elle