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SCÈNES DE LA VIE ITALIENNE.

— Moi, dit Gennariella si bas qu’on ne l’entendit point, je sais bien à quoi m’en tenir : il ne manque plus à don Cicillo que d’être amoureux de son Elena pour devenir un patito.

III.

Francesco suivait tout pensif le chemin d’Albano, en cherchant le moyen d’accommoder sa vanité avec son rôle subalterne. Les voix des femmes de chambre, qui babillaient derrière lui sur leur banquette, ne pouvaient le tirer de sa rêverie. Il ne donna pas un regard aux mines fantastiques des aqueducs, aux tombeaux des Horaces, à toute ce grand cimetière qu’on appelle campagne de Rome, et il ne remarqua point le passage du Champ de la Mort à la colline verdoyante où est assise l’Albe antique. La berline laissa sur la gauche les riches vignobles de Velletri pour se diriger vers les Marais-Pontins. L’eau bourbeuse, rafraîchie par les pluies d’hiver, n’avait rien de malsain en cette saison ; mais l’air était humide. Don Cicillo pensait au coin du feu maternel et aux zambaions préparés par sa tante. Il se pencha sur le siége pour demander timidement à la comtesse une place dans l’intérieur.

— Mon ami, répondit Elena, ce serait une imprudence. Vous pourriez vous endormir, et vous savez que pendant le sommeil l’action de la malaria est pernicieuse. Si vous avez froid, prenez cette pelisse.

Don Cicillo s’enveloppa douillettement dans une sortie de bal ; mais le brouillard s’épaississait à mesure qu’on avançait dans les paludi ; le jour baissait, et la lueur blafarde de la lune succédait aux derniers feux du crépuscule, lorsque la voiture s’arrêta. Trois buffles sauvages tenaient un conciliabule sur la chaussée sans s’étonner des claquemens du fouet et du bruit des chevaux. Le postillon descendit pour les chasser en leur jetant des pierres. Cette opération heureusement terminée, l’équipage partit au galop afin de regagner le temps perdu. La comtesse, absorbée dans un monologue, regardait d’un œil distrait l’ombre du carrosse projetée par la lune. Tout à coup elle s’aperçut que le siége du cocher était vide. Comme elle ne pouvait soupçonner un bon sujet du saint père de s’être mis avec le diable dans les fatales conditions de Pierre Schlemil, elle craignit d’avoir égaré son factotum. En ce moment, elle entendit sur le banc de l’arrière des rires étouffés.

— Êtes-vous la, caro Francesco ? dit Elena.

— Comtesse, répondit une voix piteuse, j’ai trouvé un peu de chaleur ; par charité, laisez-moi où je suis.

Comme les bengalis frileux, qui dans les cages des oiseleurs