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SCÈNES DE LA VIE ITALIENNE.

Ferma ! Le postillon s’arrêta court devant un canon de fusil qui le couchait en joue.

— Minute ! seigneur brigand, dit-il sans se troubler. Ne tirez pas ; je connais la manœuvre, et vous serez content de moi.

En parlant ainsi, le postillon s’était jeté le ventre à terre. Deux autres figures masquées s’approchèrent de la voiture. Don Cicillo se trouva face à face avec l’orifice béant d’un tromblon. Il voulut prier aussi le seigneur voleur de ne point tirer ; mais son gosier ne rendit qu’un son rauque. Le chef de la bande lui commanda impérieusement de se coucher comme le postillon, et s’adressant aux femmes de chambre :

— Ne craignez rien, jeunes filles, leur dit-il, restez sur votre siége, et taisez-vous.

— Un autre voleur avait ouvert la portière et baissé le marchepied.

— Madame, dit le chef, faites-moi l’honneur de me donner la main pour descendre de votre carrosse. Votre seigneurie n’aura pas à se plaindre de nous. Pour la galanterie et la gentillezza, nous pouvons rendre des points à des cardinaux.

— Messieurs, répondit la comtesse, le respect de ma personne est tout ce que je vous demande. Quant à l’argent et aux bagages, prenez-les ; faites votre métier…

— Acceptez mon bras, madame, et promenons-nous un moment dans ces rochers tandis que mes gens visiteront le carrosse.

Le chef et la comtesse s’éloignèrent ensemble ; mais sans doute la politesse de ces bandits n’était qu’une ruse infâme, car au bout d’un moment Elena poussa des cris plaintifs en appelant à son secours Francesco, qui ne bougea point. On entendit encore le hennissement d’un cheval, le bruit d’une petite voiture qui roulait sur les rochers d’un chemin de traverse, et puis plus rien ! Le silence et la nuit régnaient seuls dans ce lieu sinistre.

— Ils sont partis, dit le postillon en se relevant.

Don Cicillo sortit lentement son visage de l’herbe mouillée. Il s’aperçut alors que les coffres fermés et le sac d’écus étaient sur le siége.

— Oh ! s’écria le postillon, voilà des brigands d’une espèce nouvelle, qui enlèvent les dames et ne touchent pas à l’argent. Je ne m’étonne plus si leurs voix et leurs mines me sont inconnues. Ce n’est pas ainsi qu’on travaille à Terracine. Ces gens-là ne sont pas du pays.

— Il faudrait aller au secours de madame, dit une femme de chambre.

— Bah ! répondit le postillon. Elle est bien loin à cette heure. Rentrons à la ville, et dormons puisque nous avons la vie sauve. Il