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— Madame, rien ne pourrait vous donner l’idée de notre désespoir, quand nous avons reconnu que ces misérables vous avaient enlevée.

— Pauvre Marietta ! C’est fini. Me voici à la maison, fort contente, en bonne santé, parfaitement guérie de mon humeur vagabonde… À propos, cher Francesco, j’ai oublié d’avertir mes amis de mon retour. Faites-moi le plaisir d’aller leur dire qu’ils trouveront ce soir le thé servi comme à l’ordinaire. Ne leur parlez pas de nos aventures. Je déteste les bavardages. Je suis revenue parce qu’il me convenait de revenir. Et vous, marquis, recommencez la lecture de ce joli sonnet.

Don Cicillo employa le reste du jour à courir toute la ville pour convoquer les habitués du palais Corvini. À la nuit close, il se rendit au logis maternel. Dame Barbara le saisit par le cou en pleurant de joie, et l’accabla de questions et de caresses.

— Ne m’interrogez point, ma tante, répondit le jeune homme. Sachez seulement que je vous suis rendu sain et sauf après des aventures que le roman rejetterait comme invraisemblables.

— Mon fils, dit la vieille Susanna, il y a dans votre roman une chose plus belle et plus étonnante que les aventures : c’est l’admirable caractère du héros. Ne craignez pas les questions indiscrètes. Vous avez une mère et une tante dignes de vous.

Don Cicillo demanda plusieurs fois dans les bureaux de la police centrale si l’on avait reçu le fameux rapport du commissaire de Terracine ; mais on ne sut point ce qu’il voulait dire. La comtesse avait deviné juste. Aussitôt après le départ du plaignant, le magistrat vigilant avait serré dans un tiroir écus et sequins, et il n’avait pas plus songé à la dame enlevée qu’à l’autre Hélène, si méchamment ravie par Paris au feu roi Ménélas.

Les habitués du palais Corvini, un moment dispersés par l’orage, retrouvèrent au thé académique les plaisirs calmes de l’habitude. La comtesse, égayée par Orazio, reprit sa bonne humeur. Francesco, rentré dans son emploi de factotum, vivait heureux de privilèges qu’on n’eût point osé lui disputer ; cependant son bonheur fut troublé par un jeu cruel du hasard. Le carnaval était près de finir ; Elena voulut assister au dernier bal masqué du théâtre Apollo : elle envoya retenir une loge et s’y rendit accompagnée de quelques amis. Pendant la première moitié de la soirée, selon l’usage italien, les dames en toilettes et le visage découvert attendaient les visites des personnes masquées. Les hommes, sous toutes sortes de déguisemens, couraient de loge en loge. Dans celle de la comtesse, on vit paraître un brigand de Salvator Rosa, imitant le langage des Abruzzes et qui présenta l’orifice d’une espingole de bois à Francesco, en lui criant