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quelques-uns de ceux dont la construction fut liée à un fait historique important, ou rappelle un trait caractéristique des mœurs et de la politique romaines. Le souvenir ou la place de ces monumens est la seule trace aujourd’hui des premiers siècles de la république, de ces siècles si agités et si remplis par les grandes luttes des patriciens et des plébéiens, c’est-à-dire par le plus grand spectacle politique auquel il ait été donné aux hommes d’assister.

Un des premiers temples bâtis par les Romains après l’expulsion des rois est celui qu’en 277, pendant une guerre contre les Véiens, ils consacrèrent à l’Espérance. Cela va bien au début de l’ambitieuse carrière de leurs conquêtes. Le christianisme a fait de l’espérance une vertu, les Romains en avaient fait une divinité. Il ne s’agissait pas pour eux de la même espérance ; mais que ce soit pour la terre ou pour le ciel, il y a toujours de la grandeur et de la puissance à croire et à espérer. La dédicace du temple de Mercure sur le mont Aventin rappelle un des premiers exemples de la déférence des patriciens pour le peuple, et fait voir qu’ils commençaient à le craindre et à le ménager. Les consuls se disputaient l’honneur de la dédicace de ce temple ; le sénat renvoya la dédicace aux plébéiens. L’histoire d’un temple de Cérès, bâti peu d’années après, montre au contraire, chez les patriciens, l’horreur de toute concession et une haine implacable de caste qui va jusqu’à la férocité. Le tribun Spurius Cassius avait soutenu un projet de loi agraire. Son père, usant du terrible droit que la loi conférait au père de famille, le mit à mort dans sa propre maison ; puis, ayant hérité par cette mort du pécule de son fils, — le fils ne possédait qu’un pécule comme l’esclave, — avec cet argent il éleva à Cérès un temple sur lequel il lit inscrire ces mots : — Don de la famille Cassia.

Qui n’aimerait à retrouver dans la campagne de Rome les ruines du temple élevé à la Fortuna muliebre, là où les prières de deux femmes fléchirent l’âme de Coriolan ? Les antiquaires placent le lieu de cette rencontre sur la route d’Albano, près de l’endroit connu sous le nom de Roma-Vecchia. On sait qu’elle eut lieu à cinq milles de Rome. Coriolan, qui venait de prendre aux Romains plusieurs villes, entre autres Corioles, qu’il avait prise autrefois pour eux, devait s’avancer de ce côté. On ne se trompera donc pas beaucoup en se représentant là l’émouvante scène si bien racontée par Tite-live, si puissamment évoquée par Shakespeare. Shakespeare, qui était pas venu à Rome, qui ne savait pas le latin, aidé seulement de son génie et d’une traduction de Plutarque, guidé peut-être par une certaine affinité entre les instincts politiques de Rome et de l’Angleterre, Shakespeare, qui a peint si merveilleusement la mobilité du peuple, favorable un instant aux meurtriers de César,