Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 10.djvu/335

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

laissée tomber sous les coups des Romains. Il y fallut un siège de dix ans et des efforts incroyables. Pour la première fois, le soldat romain passa l’hiver au camp malgré les murmures des tribuns. Enfin Camille parvint à surprendre la ville au moyen d’un conduit souterrain par lequel il introduisit ses troupes dans la citadelle. Je dois dire que ce conduit ne s’est point retrouvé jusqu’ici.

Camille éleva sur l’Aventin un temple à Junon, déesse particulièrement adorée des Véiens. Selon la coutume des généraux romains, il avait voué ce temple pendant la guerre; il lui fut donné de le consacrer. Le temple de Junon n’existe plus. Peut-être ses colonnes ont-elles servi à bâtir }a basilique de Sainte-Sabine, longtemps séjour des papes pendant le moyen âge, aujourd’hui église des dominicains. Presque toujours les temples de la république furent ainsi le résultat d’un vœu. S’ils existaient, ils offriraient de magnifiques annales de la gloire romaine, car leur nom rappelait en général une victoire.

Au siège de Véies se l’attache la création du plus ancien et du plus considérable des monumens de l’ère républicaine qui ait subsisté jusqu’à nous : c’est l’émissaire destiné à répandre d’ans la campagne le trop plein du lac d’Albe. L’histoire de la construction de cet émissaire montre fort bien comment le patriciat romain faisait servir la religion à l’utilité publique. Pendant le siège de Véies, le lac d’Albe avait débordé sans cause apparente, ce qui avait jeté une grande terreur dans l’esprit superstitieux des Romains. Or il arriva que, comme par suite de la longueur du siège il s’était établi de certaines habitudes familières entre les Véiens et les assiégeans, un jour un soldat romain qui était de garde sous les murs de la ville entendit un vieil aruspice étrusque s’écrier : « Les Romains ne prendront la ville de Véies que lorsqu’ils auront fait écouler dans l’a plaine l’eau du lac d’Albe. » Le soldat, frappé d’une si singulière exclamation, avec cette crédulité aux prédictions d’un sorcier qui n’exclut pas des violences contre sa personne, et qui est partout naturelle aux peuples superstitieux, particulièrement au peuple italien, — le soldat romain, s’étant insinué auprès du vieux devin, sous prétexte de le consulter sur quelque prodige, le saisit tout à coup dans ses bras, l’emporta en dépit d’une résistance qui était, je crois, apparente, et le déposa à Rome en plein sénat. Le Toscan parut regretter ce qu’il avait dit, mais déclara, le mal étant fait, y persister. Le sénat avait envoyé aussi à Delphes consulter l’oracle touchant la crue extraordinaire des eaux du lac d’Albe. La réponse de l’oracle arriva bientôt, elle se trouva parfaitement d’accord avec celle de l’aruspice, et même encore plus explicite. Il n’y avait plus de place pour l’incertitude. On chargea l’Etrusque de procurer ce prodige, c’est-à-dire de faire tout ce qu’il