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épouvantée vers la ville, qu’elle ne fit que traverser pour se réfugier dans la citadelle. Bientôt les Barbares se présentèrent à la porte Colline, — porte funeste par où Alaric devait entrer un jour, parce qu’elle se trouve du côté où Rome est le plus exposée aux attaques, du côté de la plaine. L’on n’eut ni la pensée ni le temps de défendre le rempart de Servius Tullius, car on ne voit pas qu’il ait un instant arrêté les Gaulois, tant le trouble et le découragement étaient extrêmes. Les Barbares, étonnés de leur victoire et ne trouvant personne qui gardât les murs de Borne, avancèrent avec précaution, redoutant quelque embûche. De la porte Colline, ils descendirent en suivant les pentes du Quirinal jusqu’au Forum; alors seulement, arrivés auprès du Capitole, ils découvrirent leurs ennemis, qui s’y étaient retranchés. Ces bandes étaient si peu propres à un siège, qu’elles ne purent escalader cette petite hauteur; elles se répandirent dans Rome presque déserte, égorgeant les sénateurs assis dans l’atrium de leur maison, et qui les attendaient immobiles avec une impassible majesté; puis ils pillèrent et incendièrent la ville.

Rome se trouva réduite au Capitole, comme elle l’avait été dans son origine au Palatin. Les détails du siège se comprennent très bien en présence des lieux témoins de l’événement : l’attaque est tentée d’abord du côté le plus accessible, c’est-à-dire du côté du Forum ; elle est repoussée. Les Gaulois essaient ensuite de gravir la roche Tarpéienne du côté du fleuve, là où elle était le plus escarpée, et par conséquent le moins bien défendue. C’est encore aujourd’hui de là qu’elle paraît le plus formidable : cachée en beaucoup d’endroits par des maisons et des jardins, elle offre au nord un escarpement considérable. Du haut de ce rocher à pic, il faut se représenter tour à tour Manlius précipitant les Gaulois, puis précipité lui-même peu de temps après, et dire avec Tite-Live : « Ce lieu fut pour lui le monument d’une gloire incomparable et du dernier châtiment. »

Manlius fut évidemment un agitateur ambitieux et dangereux, mais je ne suis pas bien convaincu qu’il ait songé à se faire roi, comme il en fut accusé par les patriciens d’après les conseils de deux tribuns du peuple qui proposèrent ce moyen pour lui ôter sa popularité, popularité dont on peut sans trop d’injustice les accuser d’avoir été jaloux. Manlius était un patricien, le premier qui ait embrassé la cause du peuple, dans un esprit factieux sans doute; néanmoins, quels que fussent ces projets, il n’avait pas commencé à les mettre à exécution quand il fut condamné par les Romains, qu’il avait sauvés, et qui le regrettèrent. On ne peut s’empêcher d’être ému de pitié pour une destinée si brillante et si triste sur ce Capitole, dont le nom était devenu le sien, où toute cette destinée s’accomplit, et dont la vue plaidait si éloquemment en sa faveur,