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que ses ennemis furent obligés, pour qu’il pût être condamné, de le faire juger dans un fieu d’où l’on ne pouvait voir le Capitole.

Plusieurs épisodes de ce siège remarquable apparaissent vivement aux regards ; on croit apercevoir dans l’ombre, gravissant les escarpemens de la colline, ce Cominius, qui vint de Véies, envoyé par Camille, pour que le sénat captif confirmât son titre d’imperator : admirable soumission à la loi en de telles extrémités. Tout à coup de cette citadelle que l’ennemi serre de si près sort un jeune homme qui va au Quirinal accomplir un sacrifice annuel des Fabius, et traverse deux fois à pas lents l’armée ennemie qu’enchaînent l’étonnement et le respect. L’ancienne jonction du Qnirinal et du Capitole, détruite depuis par Trajan, rendait possible ce trait de pieuse audace, qui n’en fut pas moins une témérité merveilleuse. Si on se promène seul la nuit sur le sommet de la roche Tarpéienne, on s’attend à voir les Gaulois monter dans l’ombre à travers les broussailles, s’aidant des pointes de rochers. Ils touchent enfin au sommet, les voilà avec leur air farouche, leurs grands corps, leurs sayons rayés, leurs cheveux blonds, qui flottent au vent de la nuit ; ils vont pénétrer dans la citadelle, tous ses défenseurs seront égorgés, et Rome va périr en laissant peu de renommée. Mais Manlius s’éveille au cri des oies sacrées ; il culbute les uns sur les autres ces agresseurs étonnés, avant qu’ils aient pris pied sur la cime. Rome est sauvée.

Bientôt les Barbares songèrent à se retirer. Ils avaient fait contre Rome une de ces expéditions aventureuses, qui sont toujours rapides, dont le but est le pillage, et qui ne sont liées à aucun projet d’établissement. Un autre nom vient se placer à côté et au-dessus de celui de Manlius. C’est le nom du vainqueur de Véies. Camille a certainement contribué à la retraite des Gaulois : sortant d’Ardée, son lieu d’exil, il a marché noblement au secours de son pays et taillé en pièces des détachemens de Barbares qui couraient la campagne : mais est-il vrai, comme le prétend Tite-Live à peu près seul dans l’antiquité, qu’arrivé quand la rançon, d’après le récit de cet historien lui-même, semble avoir été déjà livrée à Brennus ou bien près de l’être, il en ait refusé le paiement au vainqueur ? Quoi de plus invraisemblable que son apparition au milieu des Gaulois, auxquels il vient reprendre l’or promis et déjà pesé, en leur disant que le traité s’est fait sans son consentement, qu’en sa qualité de dictateur il refuse de le ratifier, et qu’il les engage à se préparer au combat ? Si Camille était venu au Capitole adresser ce discours aux Gaulois victorieux, je doute qu’ils l’eussent laissé sortir pour revenir les chasser.

Rien de semblable ne se lit dans le judicieux Polybe, dans le curieux Suétone, dans Justin, abréviateur du savant historien Trogne Pompée. Tous affirment que les Barbares se sont retirés en