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plus qu’au temps des Barbares. Maintenant le théâtre de la guerre va toujours aller s’éloignant, et bientôt nous aurons perdu de vue le vol des aigles romaines. Suivons-le quelque temps encore pendant qu’il n’a pas dépassé l’horizon que d’un point élevé des environs de Rome l’œil peut atteindre.

Au nord, on aperçoit le mont Ciminus, qui domine Viterbe et s’élevait au cœur du pays étrusque; à l’est, au sud, on découvre deux groupes de montagnes qui renfermaient les plus redoutables ennemis des Romains : sur le premier plan, les Æques, les Berniques, les Volsques; derrière eux, les Marses, les Péligniens, et enfin les plus redoutables de tous, ceux qui formaient la grande confédération samnite. En voyant ce pays montagneux, avec ses âpres cimes échelonnées les unes derrière les autres, se dérouler à perte de vue, comme un rempart composé de plusieurs redoutes successives et surmonté de hauts et abrupts sommets qui semblent d’immenses bastions naturels, des courages moins fermes que ceux des Romains eussent désespéré de percer tous ces retranchemens de montagnes. Il le fallait cependant; Rome ne pouvait entreprendre la conquête de l’Italie et du monde que lorsqu’elle aurait fait ce pas difficile. Les Romains s’enfoncèrent résolument au cœur de ces montagnes, qui les séparaient par un boulevard d’une trentaine de lieues des plaines de la Campanie; ils atteignirent ces plaines par des prodiges sans cesse renouvelés de constance et d’intrépidité. Ce fut le temps des grands efforts et des grands revers; les obstacles, les défaites même, ne manquèrent pas : il fallut aussi un jour, pour arriver, courber le front sous le joug aux fourches caudines; Rome ploya la tête en frémissant, mais elle la releva aussitôt et passa.

Pour devenir les maîtres de l’Italie, les Romains devaient avoir leurs coudées franches des deux côtés du Tibre. Au nord du fleuve, ils rencontraient le mont Ciminus et la forêt Ciminienne, alors, dit Tite-Live, plus infranchissable, plus terrible, que ne l’étaient les forêts de la Germanie. Les marchands même n’osaient s’y aventurer. C’était comme les forêts vierges d’Amérique. Un jeune Romain eut le courage d’y pénétrer seul le premier, et en une nuit l’armée romaine l’eut traversée. La forêt Ciminienne a presque entièrement disparu, et le voyageur qui vient par Viterbe en diligence ou en chaise de poste ne se doute pas de ce qu’il fallut un jour de hardiesse pour faire le même chemin. Les montagnes situées au sud et à l’est furent plus longues à franchir. Cela demanda des siècles. On le comprend quand on pénètre dans l’intérieur de ces monts par le seul chemin qui, avant que les Marais-Pontins fussent rendus praticables, pouvait conduire en Campanie. C’est une vallée souvent étroite, toujours dominée par des cimes qu’occupaient les Herniques et les Volsques, et dont