Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 10.djvu/351

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

conçoit, une assez belle source de profit pour les Arabes pasteurs qui habitent entre La Mecque et Médine, et qui sont les pourvoyeurs de ces immenses holocaustes. Toutefois ce n’est pas seulement l’idée religieuse qui conduit les fidèles à La Mecque. En Orient, comme à peu près partout, la cupidité a poussé les hommes à chercher les moyens de concilier les sentimens de dévotion avec l’amour de l’argent. Or le dieu du lucre, qui n’est assurément qu’une des innombrables transformations du démon, est parvenu, plus que partout ailleurs sur la terre, à entrer en partage avec le Tout-Puissant dans les adorations auxquelles on se livre à La Mecque.

On pourrait croire que les musulmans profitent de l’occasion du pèlerinage pour se livrer à des opérations de commerce violent la loi. Il n’en est rien. Ceux qui combinent ainsi le trafic et la piété y sont autorisés par les commentateurs du Coran, qui, après avoir beaucoup cherché sans doute, ont fini par découvrir un verset de ce livre où il est dit : « Il ne vous est point défendu de demander des faveurs à votre Dieu. » Or, selon ces commentateurs, on doit entendre par là qu’il est licite de demander à Dieu l’augmentation de ses richesses, d’où l’on déduit que le pèlerinage n’exclut pas les affaires commerciales. Que nous voilà loin de ces provisions mystiques dont j’ai parlé plus haut ! que nous voilà loin de l’abstinence considérée par le prophète lui-même comme la meilleure des provisions à faire! Qu’est donc devenue cette disposition de l’âme qui ne permet de voir que Dieu seul? Je ne me suis pas proposé, tant s’en faut, de faire ici le procès au Coran; mais pour qui le lira attentivement, il sera démontré qu’en dehors de la doctrine de l’unité de Dieu et de nombreuses traditions bibliques ou chrétiennes, Mahomet n’avait pas assez réfléchi dès le principe sur les règles de morale et de discipline qu’il comptait établir. De là cette incohérence qui aurait fait naître les commentateurs, si l’esprit de commentaire n’était pas incarné en Orient.

De la faculté laissée à chaque pèlerin de faire des spéculations d’argent, il résulte que la caravane qui part de Damas pour y revenir après quatre mois d’absence emporte avec elle et rapporte ensuite une assez grande quantité de marchandises. En allant, ce sont des châles et des tapis de Perse, du tabac, des étoffes de soie de Damas et de Brousse, des pâtes d’abricot, des manteaux arabes, du savon, etc. Au retour, ce sont des dattes de Médine, du henné, du café de l’Yémen et des plumes d’autruche, qui toutes sont achetées pour Paris, car Paris est en Europe le marché privilégié de cette marchandise. Comme j’avais pu remarquer des différences notables entre la beauté des plumes d’autruche arrivées une année et la beauté de celles qui arrivaient l’année suivante ou qui étaient