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arrivées l’année d’auparavant, je m’étais demandé si ces différences tenaient à des besoins du commerce qui auraient guidé les choix dans les achats; mais j’appris bientôt ce que vont sans doute apprendre de moi les lecteurs de la Revue, — qu’une année pendant laquelle les pluies ont été abondantes donne des plumes plus belles qu’une année de sécheresse : en d’autres termes, les plumes sont d’autant plus belles qu’il est tombé plus d’eau. Au premier moment, on ne se rendra peut-être pas un compte bien exact du rapport qui peut exister entre de plus belles plumes d’autruche et de plus grandes pluies au désert; mais tout sera expliqué quand on aura réfléchi que l’autruche se nourrit d’herbages, et que l’effet d’une nourriture plus abondante n’est pas sans une action considérable sur le plus grand développement des fourrures, des toisons et du plumage des animaux.

Le jour du départ de la caravane de La Mecque est un jour de fête solennelle pour la ville de Damas. Dès le matin, la foule se porte dans les rues que doit parcourir le cortège, et je dis le cortège parce que les pèlerins ont pris individuellement les devans, et sont allés attendre la caravane en un lieu nommé Mezarib, lieu où se tient une foire à laquelle chacun s’approvisionne, soit en comestibles nécessaires pour la consommation de la route, soit en marchandises qui seront vendues à La Mecque ou à Médine pendant le temps du séjour qu’on y fait. C’est au séraskiérat, résidence du général en chef de l’armée d’Arabie, que se réunissent tous les fonctionnaires de la caravane. Cette caravane est en effet une grande administration qui marche, ayant son tribunal, son trésor, ses règlemens, ses écrivains, ses soldats, ses dilapidations même, et des dilapidations hors de mesure avec ce qui se voit de si déplorable déjà dans certaines administrations sédentaires de l’empire ottoman. Bientôt se présentent le gouverneur civil du pachalik, les généraux, le muphti, le cadi, les ulémas, le grand conseil administratif et judiciaire, qui tous viennent saluer l’étendard sacré avant qu’il entreprenne pour la millième fois au moins son voyage vers la sainte kaba. Cet étendard ayant été dans le principe et étant encore un drapeau militaire, la garde en est confiée à l’autorité militaire seule, qui ne s’en dessaisit que pour la durée du voyage. Tous ces fonctionnaires se réunissent en cercle. Au milieu d’eux, portant la tête haute et disposé à faire sonner sa sonnette s’il en avait une appendue à son cou, on remarque un chameau dont le dos est surmonté du mackmal, tente toute en velours vert, brodé d’or, dans laquelle l’étendard est déposé pendant la route. Ce chameau, de haute taille et de couleur blanche, descend, dit-on, d’une race qui appartenait au prophète, et qu’on s’attache à perpétuer pour servir à pareil usage. Il serait dès lors l’arrière-petit-fils, ou d’une de ces quatre chamelles que le prophète