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pour écouter les solliciteurs en retard. Huit mois chaque année, l’administration du pachalik se trouve donc confiée à des employés secondaires, la plupart du temps fort incapables et toujours d’autant plus cupides, qu’ignorant si cette occasion se présentera encore, ils la mettent à profit pour s’enrichir. J’ai entendu parler d’un de ces caïmacans (remplaçans du gouverneur absent) qui, en trois mois d’intérim, avait touché pour 60,000 francs d’extorsions de toute sorte qu’assurément le pacha n’aurait pas commises. On faisait son compte, on citait les gens qui avaient été mis à contribution et les sommes qu’on leur avait soutirées. Il semblerait naturel aussi que le pacha, payé comme gouverneur, ne reçût pas de traitement comme commandant de la caravane; mais il n’en est rien. Le pacha, qui continue à toucher un traitement net de 15,000 fr. par mois, reçoit en outre, comme indemnité de déplacement, une somme ronde de 1,200 bourses, 150,000 francs environ. Que diront de ce traitement du préfet turc de Damas ceux qui trouvaient excessif autrefois le traitement de 80,000 fr. accordé à nos ministres?

Il ne faudrait cependant pas juger, en pareille matière, de ce qui doit se pratiquer en Orient par ce qui se passe chez nous. La différence des mœurs, toutes choses égales d’ailleurs, rend la vie des hauts fonctionnaires plus coûteuse en Turquie qu’en France, et c’est principalement à l’usage de la réclusion des femmes que cet état de choses doit être attribué. En France, et dans une certaine mesure, la domesticité de la maison est commune entre la femme et le mari ; en Orient, la femme doit avoir sa maison à part, de même que le mari doit avoir la sienne : c’est tout de suite un personnel de domestiques double. Puis, comme en Orient, surtout dans les familles musulmanes, les femmes ne louent jamais leurs services, il faut que le mari achète des esclaves pour le service de la maison de sa femme. Enfin l’intérêt de la dignité du chef de la famille exige non-seulement que la toilette de sa femme soit brillante, mais que les esclaves elles-mêmes soient vêtues avec une certaine recherche. Ainsi au capital d’achat il faut ajouter les dépenses que nécessite l’entretien des domestiques, et l’on comprend jusqu’où cela peut aller.

Je reviens au budget de la caravane de La Mecque et à la manière dont certains des crédits affectés à ce service sont employés. Si je ne fais pas un examen complet et détaillé de ces dépenses, c’est que cela pourrait ne pas offrir un grand intérêt, et aussi parce que les seuls faits que je vais citer pourront donner une idée de tout le reste.

Il est accordé à la caravane, à son départ de Damas, une escorte de cinq cents cavaliers, enrôlés spécialement pour ce service, et auxquels, pour l’aller et le retour, le gouvernement alloue un prix