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des tournois, la réalisation des romans de chevalerie, le roi Arthur et la Table-Ronde. » C’était là, il faut l’avouer, un singulier successeur d’Ottocar, et quand, après bien des années, le vieux roi, le vieux chevalier, quoique privé de la vue, vient jouer son rôle dans la brillante épopée de Froissard, et se faire tuer héroïquement à Crécy pour ce pays de France qu’il avait tant aimé, la Bohême, en admirant sa mort, ne pouvait sentir bien vivement une telle perte. La Bohême cependant n’a pas le droit de regretter cet épisode de son histoire ; sans parler de l’éclat que le brillant chevalier avait jeté sur son pays d’adoption, c’est au roi Jean que la Bohème doit le roi Charles Ier, qui sera bientôt Charles IV, empereur d’Allemagne.

Connaissez-vous dans l’histoire d’Allemagne un nom aussi décrié que le nom de l’empereur Charles IV ? Il n’en est qu’un seul, je pense, qui soit placé plus bas : c’est celui de son fils Wenceslas. Toutes les chroniques du XIVe siècle, tous les historiens qui les répètent en Allemagne et en France, sont unanimes pour le charger d’opprobres. Lâche, rusé, sans foi, bassement égoïste, Charles IV a ruiné la Bohème afin d’acheter l’empire, et une fois maître du trône, il a ruiné l’empire pour relever la Bohême. Tel est à peu près le résumé des historiens allemands qui ont raconté l’histoire de sa vie. Ce jugement s’accrédite ; Voltaire, à la suite de mille autres, le formule en quelques traits qui ne s’oublient pas, et Benjamin Constant s’écrie : Charles IV a obtenu l’empire comme un marchand et l’a gouverné en usurier. Lisez maintenant le volume que M. Palacky consacre à cet usurier, à ce voleur, à cet homme qui vendait les droits de l’empire, et qui détruisait par les plus lâches concessions au saint-siège les derniers vestiges de l’autorité impériale ; ce n’est plus un Allemand qui parle, c’est l’organe des sentimens de la Bohême, et il semble que nous entrions dans un monde tout nouveau. À ce nom de Charles IV, M. Palacky s’émeut ; aucun souvenir n’est demeuré plus populaire jusque chez les Tchèques d’aujourd’hui. Avec quelle tendresse, avec quelle reconnaissance l’historien nous dévoile le secret de cette popularité ! Écoutez ce portrait que je résume en peu de mots.

Charles IV a pris part, dès sa jeunesse, à la vie aventureuse de son père. Il a été élevé à Paris, il a servi sous les drapeaux de la France, il s’est battu à Crécy ; mais il est Bohême de cœur et d’âme. Il ne songe guère aux tournois et à la chevalerie de la Table-Ronde ; il faut qu’il soumette l’Allemagne aux descendans des Prémysl. Alors même qu’il monte sur le trône électif de l’empire, son royaume héréditaire est toujours l’objet de ses prédilections. Jamais le pays tchèque n’a eu de souverain plus dévoué. Il enrichit la Bohême bien plus que ne l’avait fait Ottocar ; il lui donne la Silésie, les deux